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Levinas

 

    Comme dans le kantisme, la position d'autrui comme autrui ne correspond pas, pour Lévinas, à une inclination naturelle. Ce n'est pas une dynamique de l'Etre qui permet de sortir de soi pour laisser une place à l'autre, c'est au contraire une rupture de l'Etre, un arrachement à soi-même, initiés par une expérience éthique constitutive de la rencontre du visage.

 

  
 

 Le philosophe s'attache à décrire cette expérience nous donnant ainsi à entendre une morale dont l'originalité est d'être de l'ordre du descriptif plutôt que du prescriptif.

 Description qui, il faut bien le dire, ne va pas de soi. Je ne suis pas sûre qu'elle puisse prétendre à l'universalité tant elle me semble adossée à la tradition judéo-chrétienne. Lévinas écrit un magnifique roman éthique qui, comme œuvre d'art séduit par sa réussite, mais enfin, s'il y a des fictions qui disent vrai, le roman lévinassien m'a toujours laissée perplexe.

  Car qu'est-ce que le visage pour notre philosophe ?

  C'est l'épiphanie du Tout Autre, de l'Infini, de la Loi divine.

  Tout se passe comme si la négation de l'Autre comme Autre dans la tragédie nazie, comme si l'effacement des visages de millions de singularités humaines, broyées dans l'horreur totalitaire, avaient rendu nécessaire de lier le mal absolu à la négation de l'ab-solu c'est-à-dire, selon l'étymologie latine, de ce qui est séparé. Et surtout tout se passe comme s'il fallait incriminer dans cette catastrophe la loi de l'Etre,  compris dans sa signification éléatique, comme le propre d'une identité non mêlée d'altérité.

  Lévinas va donc délégitimer la tendance naturelle à affirmer son être, à persévérer dans son être (Le conatus spinoziste ou l'amour de soi rousseauiste) afin de lier la capacité morale, non pas à une manière d'être autrement, mais à ce qu'il appelle un autrement qu'être. (Cf. Autrement qu'être ou au-delà de l'essence.1974.)

  « La morale commence, dit-il, lorsque la liberté au lieu de se justifier par elle-même se sent arbitraire et violente » Totalité et infini.1961.

  Or, ce qui me fait accéder à la conscience de mon indignité, ce qui me révèle le caractère coupable de ma liberté c'est, selon Lévinas la visitation de l'Autre dans le visage.

  PB : Qu'appelle-t-il donc visage ?

  -Certes pas ce qui pourrait faire l'objet d'une description phénoménologique. Décrire le visage comme un objet de perception ou de connaissance revient à le manquer dans sa signification de visage. Il n'est pas une donnée plastique car il se retire des formes qu'il prend et déjoue la représentation. Il n'est accessible ni à une analyse spéculative ni à une approche contextuelle. Il porte en lui-même, dit-il : « la signification sans contexte ». Le visage c'est autrui, le premier venu ou bien l'étranger que je ne peux pas englober dans ma pensée, l'unique auquel je ne peux pas prêter un sens parce qu'il est inconnu, transcendant. Quelque chose émane du visage qui déchire l'Etre, mène au-delà et fait advenir l'humanité de l'homme.

  -Lévinas décrit sa rencontre comme un événement. Elle ne s'annonce pas, elle advient. C'est pourquoi il en parle comme d'un choc qui surprend le sujet, fait effraction dans sa vie pour en bouleverser l'affirmation et l'assigner à sa vocation. Devant le visage, je ne peux plus être celui qui se pose en s'opposant (Cf. La lutte pour la reconnaissance à la manière hégélienne), celui qui joue le jeu social de la séduction ou des rapports de pouvoir. Sa rencontre est contemporaine d'une expérience éthique et seule cette expérience donne accès à la signification du visage.

  -Pour Lévinas, le visage n'est pas tant à regarder qu'à écouter.

  Il souligne son caractère vulnérable. Il est la partie la plus nue, du corps humain, la plus exposée à la violence. Cette absence de protection s'impose à celui qui le rencontre, à la fois comme une invitation au meurtre (remarquons combien la violence s'exerce souvent sur la face : le crachat, la claque, le coup de poing etc.),  et une interdiction absolue de céder à cette tentation. (On a de nombreux témoignages de guerre où les soldats avouent leur impuissance à tuer lorsqu'ils sont face à face avec le visage de l'ennemi).

  Ainsi devant le visage je ne me sens plus autorisé à être pour moi, je me sens tenu d'être pour autrui et de mettre un point d'arrêt à mon affirmation. Je ne me pose plus, je me dépose. Car le face à face avec le visage est le face à face avec le dénuement de l'autre, sa solitude, sa fragilité d'existant exposé à la souffrance et à la mort et de cette misère je me sens comptable comme si mon humanité s'attestait dans une solidarité avec « la faiblesse et la finitude essentielle d'autrui ».

En m'offrant son extrême vulnérabilité, il me tente dans ma liberté meurtrière et en même temps il m'offre sa signification : « tu ne tueras pas », m'assignant ainsi à ma vocation c'est-à-dire à une responsabilité sans limite pour lui.

  Le visage n'est donc pas une image, il est une Parole.

  Comme le mendiant, il m'appelle au secours, il me met face à  ma propre injustice à son égard.

  Mais comme le maître, il me donne un ordre.

  En digne héritier de la tradition biblique, Lévinas fait de l'homme celui qui a été fait à la ressemblance de Dieu de telle sorte que notre expérience de Dieu, le tout Autre, l'Infini, c'est notre expérience d'autrui. « L'éthique n'est pas le corollaire de la vision de Dieu, elle est cette vision même » écrit-il dans Difficile liberté.1963.

  L'idée de Dieu vient donc de l'Autre et se révèle dans l'appel au débordement illimité de la responsabilité pour l'autre.

  Là est le point cardinal de le description lévinassienne. La présence de l'autre est le fondement de l'obligation morale mais celle-ci n'est pas la découverte de la nécessité morale du respect et de la réciprocité des droits et des devoirs, comme elle peut l'être dans le kantisme. Elle est une Parole qui subvertit la loi de l'Etre car initiant « un scrupule d'être », elle exige de faire passer l'autre avant soi, quelle que soit la conduite de cet autre. Je me découvre responsable pour lui, de manière asymétrique, sans attente de réciprocité. Il a priorité sur moi, je suis toujours déjà en charge de lui, que je sois coupable ou victime. « C'est un « Après vous, Monsieur ! » originel que j'ai essayé de décrire » écrit Lévinas dans Ethique et infini.

C'est dire qu'en faisant de chaque visage une transcendance qui convoque, interpelle (« Chaque visage est un Sinaï, dit-il »), Lévinas décrit une morale de la sainteté. Aimer son prochain sans limite, ne rien demander mais donner, suspendre la revendication de ses droits pour ne sentir que ses devoirs, telle est la relation interpersonnelle engagée par cette expérience éthique.

  D'où le problème que doit affronter Lévinas : Si l'expérience du visage est expérience éthique, comment peut-il y avoir un autre rapport à l'autre; celui qui s'effectue dans la relation juridico-politique ? Car lorsqu'il s'agit de régler la coexistence des libertés, de juger les hommes, il ne peut plus être question d'affirmer la priorité absolue de celui qui a un visage comme c'est le cas dans la relation interpersonnelle.

  Sur la scène politique il ne saurait être question d'oublier tous ceux qui n'ont pas de visages et qui pourtant sont des membres de la collectivité humaine. Voilà pourquoi Lévinas introduit l'idée du tiers.

  Je ne suis pas seul au monde avec autrui. Il y a la pluralité humaine, il y a tous les autres. Avec ceux-ci, je ne suis pas dans une relation de face à face. Dans le registre du politique nous n'avons pas affaire à « la vulnérabilité brute et nue des mortels », aux visages mais à cet « un chacun » qui est un élément de la pluralité humaine. Or l'enjeu du politique c'est la justice, le souci de l'égalité, la juste répartition des avantages et des charges. Cette exigence implique de modérer le privilège accordé à autrui. Il s'agit de comparer des incomparables, de traiter de manière égale des unicités qui ne deviennent des citoyens qu'à cette condition. Une « correction » de la dissymétrie, de la non réciprocité, de la disproportion de la relation éthique s'impose. Un certain anonymat est requis pour ne pas faire injustice à l'un ou à l'autre. La scène politique requiert, même si Lévinas y voit un risque de tyrannie, un effacement nécessaire de l'unicité d'autrui.

  « La relation avec le tiers est une incessante correction de l'asymétrie de la proximité » écrit-il dans Autrement qu'être ou au-delà de l'essence. Ou encore : « La philosophie est cette mesure apportée à l'infini de l'être-pour-l'autre de la proximité et comme la sagesse de l'amour ». (Ibid).

 

 Implications de cette analyse :

 

  • Pour la question de la moralité et de la liberté.

 

  Elle récuse l'idée que la moralité se fonde sur l'autonomie de la volonté. La volonté raisonnable, la liberté ne peuvent être le principe de la loi morale puisque l'une et l'autre sont mises en accusation par Lévinas en tant qu'elles renvoient à la loi de l'Etre. Tant que celles-ci ne sont pas suspendues dans leur affirmation par une Parole venant d'une extériorité qui est en soi une altérité, elles sont coupables. La Parole salvatrice ne sourd pas de l'intériorité personnelle, elle se fait entendre de l'extérieur et seule la réponse à l'extériorité de son appel fait advenir l'homme à son humanité. Celle-ci commence avec une réponse, celle du « me voici ». Pour Lévinas, la liberté humaine se définit donc comme hétéronomie. La responsabilité précède la liberté car elle n'est pas choisie mais imposée. Il y a une antériorité du bien sur l'Etre et seul celui qui obéit à sa loi comme on obéit à un Autre peut échapper à la fatalité d'une existence étrangère, par sa nécessité, à celle du bien.

  C'est la raison pour laquelle Lévinas parle de Difficile liberté.1963. Celle-ci fait de chacun « l'otage de son prochain » ; « le gardien de son frère ».

  Cette thèse, bien sûr, ne vient pas de la tradition philosophique de l'Occident puisque celle-ci pense la loi de l'Etre, les droits du moi dans sa réciprocité avec un toi, la liberté comme un droit naturel et l'exigence d'autonomie.(C'est pourquoi Lévinas demande de substituer à l'ontologie ou pensée du même, la pensée de l'Autre c'est-dire  l'éthique comme philosophie première).

  La pensée de la subordination de la liberté à une Extériorité et sa définition comme hétéronomie ou obéissance à la loi de l'Autre est, en revanche, le propre de la tradition hébraïque.

   Cf. Catherine Chalier dans son beau livre intitulé Lévinas L'utopie de l'humain.1993 : « Quand Lévinas décrit cette difficile et paradoxale liberté, cette liberté précédée par l'appel adressé à la singularité de chaque moi, le vocable d'élection lui vient à l'esprit. Idée qui s'exprime, dans la Bible, par l'appel du Dieu invisible à Abraham, Isaac et Jacob et à chacun de leurs descendants, pour qu'ils accomplissent Ses desseins sur la terre. Car telle est l'élection, « la conscience d'une assignation irrécusable dont vit l'éthique et par laquelle l'universalité de la fin poursuivie implique la solitude, la mise à part du responsable » Difficile liberté .

 

  • Pour la question du sujet et de l'identité.

 

  On a compris que Lévinas refuse de penser l'identité humaine à partir de l'Etre, c'est-à-dire de la tendance de toute chose à persévérer dans son être. L'homme naît à son identité de sujet lorsqu'arraché à soi, déraciné hors de l'Etre (thème du dés-inter-essement), il accède à la responsabilité pour autrui. Il s'ensuit que la responsabilité n'est pas ce qui arrive à un sujet déjà constitué, elle est ce qui le constitue comme sujet. Elle précède en lui l'essence. Je n'adviens à mon identité et à mon unicité de sujet qu'en répondant à l'appel de l'Autre, un Autre qui me domine de sa transcendance. C'est ce que Lévinas appelle : l'humanisme de l'autre homme.1972.

  Il est ainsi conduit à interpréter de manière originale le commandement évangélique : « Aime ton prochain comme toi-même ». Il ne s'agit pas de se prendre soi-même comme étalon de mesure de l'amour puisqu'en deçà de l'amour, le sujet est dissous dans l'impersonnalité de l'Etre. Il propose la lecture suivante : « Tu aimeras ton prochain : c'est toi-même », « c'est cet amour du prochain qui est toi-même ».

 

PB :

  • Est-il légitime de mettre en accusation avec une telle radicalité le moi, le conatus d'auto-affirmation et la liberté ? Une véritable morale n'implique-t-elle l'estime de soi et comment s'estimer s'il ne faut parler de soi qu'à l'accusatif ? ? Lorsque le christianisme invite à « aimer son prochain comme soi-même » n'a-t-il pas une plus grande intelligence des conditions de l'amour fût-il christique ?
  • L'effacement de soi consubstantiel à la préséance de l'Autre peut-il s'incarner autrement que dans la sainteté ? Or s'il n'y a d'éthique que de la sainteté, n'est-elle pas condamnée à demeurer une exception ?
  • La responsabilité infinie avec ce qu'elle suppose de non réciprocité, d'asymétrie est-elle possible et légitime ? Possible, puisque même dans la relation interpersonnelle,  sainteté exceptée, la réciprocité semble importante pour tout un chacun, légitime, car ne prend-on pas le risque de déresponsabiliser l'autre et conséquemment de le déshumaniser en lui laissant croire qu'il n'a que des droits alors que l'on n'a soi-même que des devoirs ?

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25 Réponses à “Lévinas: Le fondement trans-affectif du rapport moral. L’éthique de la responsabilité.”

  1. Emil dit :

    Bonsoir, je n’arrive pas à comprendre en quoi la responsabilité est-elle une nécessité au regard d’autrui . En quoi cette responsabilité est-elle ressentie d’emblée au moment du face-à-face avec l’autre? J’ai lu Ethique et infini de Levinas qui a le mérité de brosser un petit portrait court sur sa pensée, mais l’introduction de la responsabilité dans l’autre m’est totalement incompréhensible. « Nous sommes tous coupables de tout et de tous devant tous et moi plus que les autres » disait Dostoïevsky. Ah bon ? Je ne comprends pas. Honte à moi…..
    Cordialement

  2. Simone MANON dit :

    La rencontre du visage n’est pas une nécessité ontologique. Levinas décrit une expérience, celle d’un appel à la responsabilité illimitée pour l’autre, de l’exigence d’une relation dissymétrique où l’autre a priorité sur moi. Sans doute restez-vous étranger à cette expérience.

  3. Maya dit :

    Bonjour,

    une fois de plus, un article très intéressant 🙂

    Il y a un élément qui m’interpelle, dans votre article, que vous soulevez d’ailleurs dans la partie :  » Pour la question du sujet et de l’identité « , de même que dans les problématiques finales :

    J’ai l’impression que le refus de Lévinas de « penser l’identité humaine à partir de l’Etre » est dû à une compréhension étroite qu’il a de cette notion : certes l’expression  » se soumettre à la loi de l’Etre  » paraît catégorique, mais, comme vous l’avez souligné, est-il légitime de mettre en accusation avec une telle radicalité l’estime de soi et « l’effort de perséverer dans son être » (conatus de Spinoza) ?

    En effet il me semble que Lévinas ici comprend cette notion comme une sorte d’égoïsme, de primauté du soi alors que selon moi, il serait dangereux de considérer comme vous l’avez dit les droits de l’autre uniquement, et jamais les siens ?
    Il faut à mon avis trouver un équilibre entre mes intérêts, ma volonté, ma liberté et ceux d’autrui, pour vivre en bonne entente ?

    Ainsi, « c’est cet amour du prochain qui est toi-même » me semble être une interprétation assez étroite de « aime ton prochain comme toi-même »; pour ma part je traduirais plutôt par :  » aime toi toi-même, et porte ce même amour et ce même intérêt à l’autre ».

    Qu’en pensez-vous ?

  4. Simone MANON dit :

    Ce n’est pas moi, Maya, qui vais désavouer votre propos.
    Pour diverses interprétations de la formule évangélique, voyez l’article: https://www.philolog.fr/variations-sur-le-theme-aime-ton-prochain-comme-toi-meme/
    Bien à vous.

  5. Maya dit :

    C’est entendu, merci !

  6. Avanas dit :

    J’aimerais savoir pour quoi la relation avec Autrui est comme une remise en question de ma liberté et un appel à la responsabilité pour autrui ?

  7. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Je ne prends la peine de répondre qu’à des internautes témoignant de la plus élémentaire des politesses.
    Ce n’est manifestement pas votre cas mais il n’est jamais trop tard pour apprendre.
    Bien à vous

  8. Avavas dit :

    Bonjour Madame
    Après avoir lu votre article j’ai compris que c’est l’acceptation de la responsabilité pour l’autre qui constitue notre unicité du sujet et son identité. Il s’ensuit que si l’homme n’accepte pas cette responsabilité, il ne sera jamais libre. Ainsi, nous pouvons dire que l’identité de l’homme précède sa liberté et que la responsabilité précède l’identité. Et par conséquent il y a d’abord la responsabilité; ensuite l’identité et enfin la liberté. Ce qui donne: responsabilité-identité-liberté. S’il vous plaît Madame, si dans la relation intersubjective ma responsabilité pour l’autre est une responsabilité imposée, je ne suis plus libre, ma liberté est mise en question. c’est pourquoi j’aimerais que vous me donniez une explication à mon inquiétude !

  9. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Votre message révèle une grande confusion. Vous alignez des mots mais vous ne semblez pas comprendre à quelle expérience ils renvoient.
    J’ai bien précisé que la liberté ne se définit pas, dans la tradition biblique, par l’autonomie. Tant que c’est le sujet qui se donne la loi, on ne peut pas sortir de la logique de l’identité et donner une place à l’altérité. La liberté des uns est donc une menace pour la liberté des autres. La reconnaissance d’autrui comme autre que moi impose une rupture avec la loi de l’Etre, un « Autrement qu’être », rupture sans laquelle le sujet n’advient pas dans son humanité.
    Cette rupture est consubstantielle à ce que Lévinas appelle l’expérience éthique ou la rencontre du visage. Le visage n’est pas ce qui s’offre au regard mais à l’écoute. Il fait entendre la loi transcendante de Dieu, celle qui fait de chacun « l’otage de son prochain », qui l’appelle à une responsabilité illimitée pour l’autre, la liberté consistant à répondre à cet appel.
    La liberté se définit donc comme hétéronomie et s’accomplit dans le « me voici » ou dans le « après vous, Monsieur ».
    Vous remarquerez que je ne fais que reprendre les significations développées dans l’article.
    En espérant que vous comprendrez mieux avec ces quelques lignes.
    Bien à vous.

  10. avanas dit :

    Bonjour Madame !
    Merci beaucoup pour pouvoir donner une lumière à l’obscurité qui régnait dans ma pensée concernant ma notion de la liberté au sens Lévinassien. J’aimerais poursuivre ma curiosité en vous demandant : la responsabilité dont parlait Lévinas n’est -elle pas une responsabilité imposée à Moi ? Si telle est le cas. Quand est ce que le sujet sera libre ?

  11. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Dans la mesure où vous posez toujours la même question, il est évident que vous ne comprenez pas.
    Je suis désolée. Personne ne peut comprendre à votre place.
    Peut-être qu’en vous demandant si l’homme est dans la même situation, relativement à l’effectivité de la liberté et de la responsabilité, dans ces deux cas, les choses commenceront-elles à s’éclairer.
    Un homme est contraint de donner sa bourse parce qu’il a un pistolet sur la tempe.
    Un homme fait quelque chose parce qu’il répond à un appel.
    Y a-t-il sens à dire que l’appel contraint? Une réponse n’engage-t-elle pas la liberté d’un sujet? L’expérience de la responsabilité ne met-elle pas en jeu le consentement intérieur? Y a-t-il sens à la concevoir comme l’effet mécanique d’une cause extérieure au sujet?
    Bien à vous.

  12. youri dit :

    Bonjour Madame,
    Je vous remercie tout d’abord pour votre site de philosophie.

    Le visage s’écoute plus qu’il ne se discerne en tant qu’image. Levinas avait, je crois, coutume d’analyser le Talmud à l’ENIO et d’écouter les voix de ces Rabbins qui se sont suivis au cours des siècles. Ouaknin parlait de la « Haggadah » comme du « Dire dans toute son étendue, le Dire par excellence. » On aperçoit le thème riche de l’inspiration, de la voix qui résonne. C’est pourquoi j’apprécie votre expression « roman éthique ». La littérature est immensément essentielle dans l’Étude de l’Autre.
    Bien entendu, il y également le dualisme Philosophie et Judaïsme chez ce philosophe qui est passionnant. C’est dire l’humanité, l’Universel que la Philosophie or associer le Judaïsme revient à un ethno-centrisme. Levinas, n’avait-il pas dit dans ses Quatre lectures talmudiques : « Des lors, la traduction « en grec » de la sagesse du Talmud est la tache essentielle de l’Université de l’Etat juif ». Je comprends que vous émettiez des limites sur la portée de cet Humanisme car il est volontairement tournée vers l’Election, vers la Judéité. C’est pour cela que le Visage et la Tora tiennent en otage, comme deux figures de l’Autre homme.
    Toutefois, de mon point de vue, Levinas ne nous confronte pas vraiment au Judaïsme. Il est entre « le Juif et le Grec » (A. David). Il reforme les concepts, les défigure et aspire à l’inspiration. Il forme le roman du corps etranjuif ( pour reprendre un terme d’H. Cixous).

    Salutations

    Youri

  13. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Rien dans les objections que je formule à l’analyse de Lévinas n’a rapport au fait qu’elle soit tournée, comme vous le suggérez, vers l’Election. Je ne souscris d’ailleurs pas à cette affirmation. Ce n’est pas parce que la tradition juive est prégnante dans la pensée de Lévinas qu’elle s’y limite.
    Bien à vous.

  14. Youri dit :

    Bonjour Madame,
    Justement, nous sommes d’accord… Levinas ne se limite pas au Judaïsme, il le dépasse ou plutôt le transforme. Il s’y adosse fortement. Lorsque je parlais « d’Élection », je revenais simplement sur l’idée à laquelle vous faisiez référence via C. Chalier.
    En essayant de reprendre le terme d' »etranjuif », j’ai tenté de poser l’idée selon laquelle les lectures talmudiques du philosophe ont pu paraître étranges à bien des lecteurs Juifs tant elles étaient pénétrées de phenomenologie aussi.
    Dans tous les cas, cette interaction « Etre-juif »/ »Etre-grec » me passionne tout comme le dialogue de Levinas entamée avec J. Derrida.

    Salutations

  15. Bosco dit :

    Bonsoir Madame,
    J’ai lu un assez long extrait de l’ouvrage de Levinas intitulé Humanisme de l’autre homme.
    L’auteur commence par distinguer les notions de besoin et de désir. Alors que le besoin est tourné vers le « Moi » et sa propre satisfaction, le désir (immédiatement nommé « Désir de l’Autre » par Levinas) est défini comme cette puissance qui me fait sortir de moi-même et me tire vers l’extériorité. Une telle analyse du désir débouche naturellement sur une analyse de l’altérité. Si le désir est fondamentalement « Désir de l’autre », il est en effet logique de s’interroger sur la nature de l’objet du désir. S’ensuit donc la description de l’altérité comme surgissement du visage de l’autre à ma propre conscience, obligation non négociable, injonction à la moralité.
    C’est l’assimilation de la notion de désir au « Désir de l’Autre » qui me questionne. Certes, chez Levinas, autrui porte la trace du Tout Autre (c est à dire de Dieu) et, en ce sens, le Désir bien compris ne peut que subsumer désir d’autrui et désir de Dieu. Ce passage du désir au Désir me trouble.
    Ne pensez-vous pas qu’en suivant la démarche de Levinas on aboutit à la conviction que la demeure du Désir est forcément le Bien ? Dès lors, on retrouve Platon. Une telle conviction ne ma paraît pas du tout absurde mais il me semble qu’elle suppose un préalable : croire que le désir humain détient une orientation naturelle vers le Bien.
    Bien cordialement et merci pour vos analyses qui donnent à penser.

  16. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Il faut bien voir qu’un abîme sépare la conception platonicienne du désir de la conception lévinassienne.
    Chez Platon la loi du Désir n’est pas celle de la condamnation de l’Etre mais celle de sa compréhension et de son assomption. Il ne s’agit pas d’un « autrement qu’être » pour Platon, mais tout simplement d’être vraiment.
    Comme je le souligne dans cet article: https://www.philolog.fr/le-mythe-de-landrogyne-commentaire/ le tour de force de Platon est de parler du désir sans jamais nous parler d’autrui. En aspirant à l’hymen avec l’Un-Bien, le sujet ne sort pas de lui-même, il cherche à expulser le manque qui l’affecte pour retrouver une plénitude inscrite en lui sous la forme d’une trace lui interdisant toute forme de repos dans l’incomplétude.
    Athènes n’est pas Jérusalem et s’il y a une thématique permettant de pointer l’hétérogénéité des pensées, c’est bien celle du Désir.
    Bien à vous.

  17. Bogolioubov dit :

    Bonjour,
    Merci pour le très précieux travail que vous partagez sur ce site et qui est une grande source d’inspiration.
    Je me pose une question à propos de Levinas. Si la responsabilité pour autrui ne résulte pas d’une décision libre, mais frappe le sujet malgré lui, avant que ne commence sa liberté, comment expliquer qu’il y ait concrètement des gens qui se sentent responsables d’autrui et d’autres pas? Ne faudrait-il pas admettre malgré tout une dimension de liberté dans le sujet, ne serait-ce que pour accueillir vs. rejeter la responsabilité devant le visage? Si « la responsabilité précède la liberté car elle n’est pas choisie mais imposée », faut-il dire que cette responsabilité frappe un peu au hasard, distinguant les élus et les saints sans que ceux-ci n’y soient pour rien?
    Cordialement

  18. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Ce n’est pas parce que Levinas définit une « liberté paradoxale » qu’il ne s’agit pas d’une liberté. Celle-ci est réponse à un appel qui vient de l’Autre. Elle implique l’hétéronomie. Tout homme, en présence du visage, peut faire l’expérience de sa responsabilité pour l’autre, mais tous les hommes ne répondent pas « me voici ». L’initiative de l’agent moral dans sa réponse est constitutive de la liberté. Il n’y a ni élu, ni saint sans le difficile et subversif consentement à l’appel de la responsabilité.
    Bien à vous.

  19. Dosso dit :

    Bonjour Madame Simone Manon. Comment definissez-vous le concept de Responsabilité ? Je cherche une définition opératoire de ce concept .
    Aussi voudrais je que vous emuneriez ici les différentes conceptions ou perception de ce concept tel que vous l’avez fait pour le concept de morale. Merci pour votre immense contribution à la vulgarisation de la culture philosophique. Que Dieu vous bénisse !!

  20. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Il n’y a aucune difficulté à définir la responsabilté. Il vous suffit d’ouvrir le dictionnaire pour lire qu’elle est l’obligation de répondre de ses actes, de se porter garant de quelque chose devant une autorité compétente pour nous demander des comptes.
    Cette autorité peut être la société ( responsabilité civile et responsabilité pénale), son for intérieur (responsabilité morale), ou Dieu si l’on tient que la loi morale est un décret divin et que l’homme est hétéronome.
    Voyez le corrigé: admettre l’hypothèse de l’inconscient psychique est-ce dénier à l’homme toute responsabilité?
    Bien à vous.

  21. May dit :

    Bonjour Madame,

    Merci pour cette analyse éclairante.
    J’avais simplement une question ; vous dites que l’expérience éthique décrite par Lévinas n’est pas de nature phénoménologique. Pouvez-vous préciser en quoi elle ne l’est pas, s’il-vous-plaît ?
    Merci beaucoup.

    Bel été à vous

  22. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Voici la réponse de Levinas à votre question:
    « Je ne sais si l’on peut parler de « phénoménologie » du visage, puisque la phénoménologie décrit ce qui apparaît. De même, je me demande si l’on peut parler d’un regard tourné vers le visage, car le regard est connaissance, perception. Je pense plutôt que l’accès au visage est d’emblée éthique. C’est lorsque vous voyez un nez, des yeux, un front, un menton, et que vous pouvez les décrire, que vous vous tournez vers autrui comme vers un objet. La meilleure manière de rencontrer autrui, c’est de ne pas même remarquer la couleur de ses yeux ! Quand on observe la couleur des yeux, on n’est pas en relation sociale avec autrui. La relation avec le visage peut certes être dominée par la perception, mais ce qui est spécifiquement visage, c’est ce qui ne s’y réduit pas. Il y a d’abord la droiture même du visage, son exposition droite, sans défense. La peau du visage est celle qui reste la plus nue, la plus dénuée. La plus nue, bien que d’une nudité décente. La plus dénuée aussi : il y a dans le visage une pauvreté essentielle ; la preuve en est qu’on essaie de masquer cette pauvreté en se donnant des poses, une contenance. Le visage est exposé, menacé, comme nous invitant à un acte de violence. En même temps, le visage est ce qui nous interdit de tuer.
    (…) Le visage est signification, et signification sans contexte. Je veux dire qu’autrui, dans la rectitude de son visage, n’est pas un personnage dans un contexte. D’ordinaire, on est un « personnage » : on est professeur à la Sorbonne, vice-président du Conseil d’Etat, fils d’un tel, tout ce qui est dans le passeport, la manière de se vêtir, de se présenter. Et toute signification, au sens habituel du terme, est relative à un tel contexte : le sens de quelque chose tient dans sa relation à autre chose. Ici, au contraire, le visage est sens à lui seul. Toi, c’est toi. En ce sens, on peut dire que le visage n’est pas « vu ». Il est ce qui ne peut devenir un contenu, que votre pensée embrasserait ; il est l’incontenable, il vous mène au-delà. C’est en cela que la signification du visage le fait sortir de l’être en tant que corrélatif d’un savoir. Au contraire, la vision est recherche d’une adéquation ; elle est ce qui par excellence absorbe l’être. Mais la relation au visage est d’emblée éthique. Le visage est ce qu’on ne peut tuer, ou du moins dont le sens consiste à dire : « tu ne tueras point ». Le meurtre, il est vrai, est un fait banal : on peut tuer autrui ; l’exigence éthique n’est pas une nécessité ontologique. L’interdiction de tuer ne rend pas le meurtre impossible, même si l’autorité de l’interdit se maintient dans la mauvaise conscience du mal accompli – malignité du mal. » E. Levinas, Ethique et infini.

    Le visage est parole, dit Levinas, il n’est pas ce qui se voit mais ce qui s’écoute…. etc.
    Bien à vous.

  23. May dit :

    Bonjour Madame,

    Cela répond parfaitement à ma question.
    Merci infiniment.

    Bien à vous

  24. Achille Kandi dit :

    Bonsoir Mme.
    je suis très content de votre analyse sur la question de l’altérité et du visage chez Levinas. Mais j’ai quelques difficultés à situer la liberté chez Levinas. Elle est au fondement de la responsabilité ou alors elle vient après, ou plutôt encore, elle est peu considérée, lorsqu’il faut répondre de l’autre?
    la seconde préoccupation est celle liée à la responsabilité même chez Levinas; car à le lire, on a l’impression qu’elle est exclusive, c’est-à-dire toujours et seulement pour l’autre; en d’autres termes, la responsabilité pour soi n’existe pas?
    Enfin, la question du sujet chez Levinas: si le sujet est dépouillé de son essence (car chez Levinas, l’essence est désintéressement), on est tenté de conclure qu’il n’y a plus de sujet en soi, mais exclusivement pour l’autre. D’où la question de l’intersubjectivité poserait problème chez Levinas?

  25. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Il me semble que mon article éclaire vos perplexités.
    La responsabilité précède la liberté mais seul celui qui consent à l’appel de l’Extériorité la rend effective. La liberté s’accomplit chez Lévinas comme réponse à l’appel de la responsabilité.
    Oui cette responsabilité est asymétrique. Priorité d’autrui sur moi. Cf. « Aprés vous Monsieur »
    L’identité du sujet commence avec l’amour d’autrui. Elle ne le précède pas et s’accomplit comme telle dans les relations intersubjectives.
    Bien à vous.

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