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  Il ne faut pas confondre le sentiment du respect avec l'obligation morale du respect.

  Que nous ayons le devoir de témoigner à l'autre des égards, de le traiter avec réserve et considération est une chose, que nous éprouvions réellement à son endroit un sentiment de respect en est une autre.

 

  Pascal pointe la différence de deux formes de respect en distinguant " les respects naturels "et "les respects d'établissement ". Les premiers sont éprouvés en présence « des grandeurs naturelles », les seconds sont dus aux « grandeurs d'établissement ».  Dans le Second Discours sur la condition des grands. 1670. Pascal introduit cette question par une citation de Fontenelle : « Devant un grand seigneur je m'incline, mais mon esprit ne s'incline pas ».

  Il s'agit de comprendre que tout ordre social comporte des règles de civilité relatives aux hiérarchies instituées. Par exemple, l'usage, dans l'Ancien Régime, veut qu'on parle aux Rois à genoux ou qu'on se tienne debout dans la chambre des Princes. Ce sont là des « cérémonies extérieures » c'est-à-dire une certaine manière de se conduire où l'essentiel consiste dans la conformité extérieure de la conduite à la règle sociale. Les marques conventionnelles de respect n'impliquent aucunement le consentement intérieur de l'âme qui est, au contraire, le propre du respect éprouvé pour les « grandeurs naturelles ».

  Kant remarque dans la même veine : « Devant un homme de condition inférieure, roturière et commune, en qui je reconnais une droiture de caractère portée à un degré que je ne me reconnais pas à moi-même, mon esprit s'incline, que je le veuille ou non, et si haut que j'élève la tête pour ne pas lui laisser oublier ma supériorité » Critique de la raison pratique.1788.

  C'est que tout sentiment met en jeu, la sensibilité c'est-à-dire la faculté de notre esprit d'être affecté par les choses, de recevoir des impressions sensibles ou autres.   La sensibilité est en nous la fonction de la réceptivité et dans la réceptivité il y a un élément irréductible de passivité.

  Ainsi un sentiment est ce que nous éprouvons parce que nous subissons l'action de quelque chose qui agit sur nous. Nous sommes affectés, touchés par elle.

  En témoigne le sentiment d'amour. On ne décide pas d'aimer sauf s'il s'agit de l'amour de bienveillance. Mais dans ce cas il ne s'agit plus du sentiment, il s'agit d'une obligation.

  Alors qu'est-ce que le sentiment du respect ?

  Le mot vient du latin « respectus » signifiant le fait de se retourner pour regarder. Il indique un temps d'arrêt marqué devant l'objet du regard. Et il va de soi que seul ce qui s'impose à nous comme une valeur peut susciter ce sentiment conjuguant les sentiments d'estime et d'admiration.

  Cependant si nous admirons un beau paysage, il n'y a guère de sens à dire que nous le respectons.

  Il y a donc une spécificité du respect que Kant analyse en montrant que c'est un sentiment à part.

  Il est le sentiment moral par excellence car ce que nous sommes enclins à respecter a rapport au bien moral. Or le bien moral n'est pas chose sensible. Il faut un jugement moral pour reconnaître la valeur morale.

  Le sentiment du respect a donc ceci de spécifique qu'il n'a pas sa source dans la sensibilité. Il a sa source dans le jugement de la raison et il est l'effet dans la sensibilité de la loi morale que se représente la raison.

  Kant s'explique clairement dans les Fondements de la métaphysique des mœurs.1785.

  « Quoique le respect soit un sentiment, ce n'est point cependant un sentiment reçu par influence ; c'est, au contraire, un sentiment spontanément produit par un concept de la raison, et par là même spécifiquement différent de tous les sentiments du premier genre comme l'inclination ou la crainte ».

  Son objet est la loi morale et par extension le sujet raisonnable sans lequel elle n'aurait pas d'existence. « La moralité, ainsi que l'humanité, en tant qu'elle est capable de moralité, c'est donc là seul ce qui a de la dignité ». Ibid.

  Kant montre que ce sentiment n'est pas un sentiment entièrement heureux car l'effet de la loi morale en nous est d'abord d'humilier les penchants de la sensibilité. La loi morale « porte préjudice »,  à notre amour-propre, elle disqualifie notre présomption en pointant l'illégitimité d'une estime de soi antérieure à l'accord de la volonté avec la loi morale. « La loi morale humilie inévitablement tout homme quand il compare avec cette loi la tendance sensible de sa nature » Critique de la raison pratique.

  Mais si elle humilie notre égoïsme, la loi morale force aussi l'estime de nous-mêmes dans la mesure où nous en sommes l'auteur et où le fait d'être affecté par elle témoigne que notre nature ou sensibilité n'est pas entièrement mauvaise.

  Il s'ensuit que le respect n'est pas ce que Kant appelle un sentiment pathologique, c'est un sentiment pratique.

   NB : Pathologique ne signifie pas morbide mais passif, subi, ayant sa source dans la sensibilité.

  Pratique : ce qui est possible par liberté (action par rapport à passion). Pratique est synonyme chez Kant de moral.

 

  Cette analyse du sentiment de respect révèle pourquoi le respect de l'homme vicieux ne va pas du tout de soi.

  Nous avons l'obligation de lui témoigner les égards dus à la personne humaine, en tant qu'elle est capable de moralité. Mais au-delà de l'exigence morale et de la convention d'un monde civilisé, il est clair que seul peut forcer le sentiment du respect, l'homme vertueux.

 

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23 Réponses à “Le sentiment du respect.”

  1. Chamberien dit :

    Je sais que peut être la question n’est pas posée dans le bon article et que vous n’avez pas obligatoirement envie de me répondre, mais bon, il fallait que je la pose.

    Le mot dignité désigne au sens du Larousse: Respect que mérite quelqu’un ou quelque chose.
    Mon probléme est de savoir si la dignité populaire signifie bel et bien le respect que mérite un peuple? Cela me paraît un peu court et j’ai peur de m’égarer en utilisant ce terme que j’ai lu, sans explication, dans Le Monde spécial Proche et Moyen Orient.

  2. Simone MANON dit :

    Une expression (ou un mot) n’a pas de sens en soi. Celui-ci dépend de sa place dans la proposition. Ne connaissant pas le contexte d’où vous tirez cette expression, il m’est impossible de répondre à votre question.

  3. Chamberien dit :

    Le passage est: On assiste à la restauration de la dignité populaire: les discours publics appellent en permanance à la dignité du peuple et de l’homme du peuple.
    Cet extrait figure dans un article sur l’évolution du socialisme arabe des années 70 à nos jours.

  4. Simone MANON dit :

    L’expression semble prendre sens dans le cadre d’une rhétorique politique où l’on admet implicitement que les politiques antérieures ne se sont guère préoccupé de respecter cette personne morale qu’est un peuple ( au sens rousseauiste: l’ensemble des membres associés dans un corps politique et contractant librement) ou la personne tout court (sous la forme de l’individu n’appartenant pas à la nomenklatura mais plutôt aux couches défavorisées du corps social).
    Restaurer la « dignité populaire »consisterait donc à rappeler le principe démocratique qui veut qu’une politique légitime soit l’expression de la volonté générale du peuple concerné et non l’expression de la volonté d’un parti au service d’une idéologie

  5. jean louis dit :

    Voilà une déclaration initiale qui me ravit et qui me donne envie, pour le coup, de poser la question des rapports entre enfants et parents.
    Alors l’enfant doit le respect à ses parents, mais il n’a pas le devoir de les aimer ? (Même le décalogue ne s’y est pas trompé : « tu honoreras ton père et ta mère »)
    Et inversement pour les parents ?
    Si vraiment c’était une chose acquise, ce serait une révolution.
    Comment ? Un père ou une mère qui n’aime pas son enfant ! ! !
    Comment, un enfant qui n’aime pas ses parents ! ! !

    Mais est-ce que l’amour est toujours un sentiment ? Qu’est-ce qu’un sentiment ?

  6. Simone MANON dit :

    Le sens du mot sentiment peut varier. Il est ici clairement défini comme état affectif suscité dans la sensibilité par quelque chose qui agit sur elle.
    L’amour n’est pas toujours un sentiment. Il peut être l’objet d’une obligation. Voir sur ce point les élucidations proposées dans les cours: Qu’est-ce que je sous-entends lorsque je parle d’autrui comme de mon semblable? ou Variations sur le thème: aime ton prochain comme toi-même.

  7. phil2012 dit :

    Bonjour,

    Je m’interroge sur le sentiment de respect .Kant dit que l’homme vertueux force le sentiment de respect .Autrement dit un étre humain ayant des qualités (bon,juste,droit,honnête..)donne envie à l’autre de le respecter ?Mais si ces qualités ne sont pas reconnues ?ou que l’autre s’en moque?
    Pour approfondir:le respect des parents …EST-CE UN PRINCIPE reconnu?S’il l’est,pourquoi tant d’enfants ne respectent pas leurs parents ,Idem pour les élèves envers les profs ?Question de départ :le respect est -il un principe pouvant être présenté comme un axiome ou une loi en philosophie ?Ou un principe de non contradiction ?Je mélange peutn-être un peu tout..Merci de m’éclairer

  8. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Votre propos est d’une extrême confusion car vous manquez de la rigueur la plus élémentaire.
    En effet, un sentiment est une chose, un principe une autre.
    Le respect est un sentiment (un vécu, un affect) suscité en nous par une représentation de la raison. Il va de soi que pour l’être dont la raison est aveuglée par des passions ou tout simplement pas encore en possession d’elle-même, la représentation de la valeur morale est compromise.
    Par ailleurs, ce n’est pas parce que l’on est un parent ou un professeur que l’on incarne dans sa personne une qualité morale forçant le respect. Dans ce cas vous pouvez exiger « un respect d’établissement »dirait Pascal mais pas « un respect naturel ».
    Tous mes voeux de bonheur pour la nouvelle année.

  9. phil2012 dit :

    Merci madame MANON .
    Je viens seulement de lire la différence entre grandeur naturelle et grandeur d’établissement :c’est plus clair .J’aurais dû commencer par là avant de poser ma question.
    Démarrant seulement en philosophie ,quel serait le bon manuel à acheter pour compléter vos cours ?(il existe un bon nombre de livres de philosophie terminale à commander en librairie,mais lequel est le plus explicite?le plus pédagogique?)
    Merci de vos conseils .

    Merci pour vos voeux .Bonne ANNÉE également à vous à travers ce site très intéressant et si utile!

  10. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Je suppose que vous avez un professeur pour vous initier à la philosophie.
    Il faut assimiler ses cours, rédiger les dissertations qu’il vous donne.
    Si ce n’est pas le cas, je ne sais quel manuel vous conseiller. A titre de complément, la philosophie de A à Z chez Hatier vous permettra, sous forme concise, de disposer de définitions ou de présentations de thèses qui peuvent vous être utiles.
    Bien à vous.

  11. phil2012 dit :

    BONJOUR madame Manon,

    Une autre question (en espérant que ce ne soit pas une ineptie,je ne connais pas la philosophie):
    Peut-on ériger un sentiment en principe?
    Je le demande parce que sur certains sites je lis: »le principe du respect de la dignité de ….. »ou bien « le principe du respect des droits de ….. » etc…..Je vois beaucoup cette formulation sur différents thèmes .

    D’où maintenant ma question.

    Merci de votre réponse .Encore une fois,je démarre!Je suis encore dans « la caverne »!Tout est brumeux ,beaucoup d’ombres!Pas une once de soleil!

  12. Simone MANON dit :

    Bonsoir
    Le cours commence par une remarque attirant votre attention sur la nécessité de ne pas confondre le sentiment du respect avec l’obligation morale du respect. Cette obligation est en effet un principe fondamental de la morale.
    Voyez le cours pour faire la différence.
    Bon travail.

  13. philo2014 dit :

    bonjour madame Manon
    enfaite j’ai une dissertation à rendre pour demain. le sujet est
    « toutes les personnes sont-elles respectables? » sauf qu’on a pas eu de cours sur cette notion de « respect »
    pouvez-vous m’aider s’il vous plait ?

  14. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Vous devez avoir bien conscience qu’on ne peut pas réussir une dissertation en s’y prenant la veille. Le sujet vous est donné longtemps à l’avance pour que vous ayez le loisir de faire des recherches et de d’approfondir par des lectures votre réflexion.
    Vous pouvez exploiter mes cours sur ce thème, en particulier cette explication d’un texte de Kant.
    https://www.philolog.fr/lobligation-morale-du-respect-kant/
    Bon travail.

  15. BARRY C. dit :

    Bonjour,

    Ce commentaire juste pour remercier pour ce contenu à la fois très abordable et publique.
    Je suis actuellement en cours de rédaction de mon mémoire infirmier dans lequel je voulais aborder cette notion de respect : vos publications ont nettement facilité mon approche de Kant; surtout quand on sait que mes derniers cours de philo sont déjà loin.
    Aussi un grand merci et bonne journée!

  16. Anne dit :

    Chère madame,
    Merci pour votre site extraordinaire , si rigoureux et si enrichissant .
    Je m’interroge sur le fondement même de la morale , ce sur quoi elle repose en fin de compte : peut-on conclure qu’elle repose sur la raison dans la mesure où il nous faut exercer notre jugement pour entendre la loi morale en nous (avec laquelle on ne saurait transiger ). nous ne sommes réceptifs à cette loi morale que parce que nous sommes raisonnables ou rationnels et capables de nous extraire du sensible pour nous élever à ces exigences universelles, capable de nous faire violence et nous contraindre à obéir à ce commandement sublime quoi qu’il nous en coûte ? Mais alors quid de la pitié en quoi Schopenhauer voit le fondement de la morale ? est-elle totalement ‘disqualifiée’ car elle est un affect, elle nait de notre réceptivité à la misère d’autrui , ps d’un jugement moral?
    Pourtant la pitié ne peut-elle être vue comme un déclencheur puissance de morale (md) , un début de position morale – même si c’est insuffisant- car elle nous arrache à notre moi et notre égoïsme ? a -t-elle une valeur tout de même car elle est si sollicitée partout ( je pense aux associations caritatives qui font appel à la pitié et peut conduire à des actions morales ? Est-il possible de dire que le fondement de la morale peut être mixte ?
    Merci de vos lumières, j’espère ne pas être confuse.
    Anne

  17. Simone MANON dit :

    Bonjour Anne
    La question des fondements de la morale reste une question ouverte et l’on peut dire que les philosophes s’entendent globalement sur la nature des vertus mais s’opposent essentiellement sur le fondement qu’ils leur donnent.
    On peut fonder la morale sur le sentiment (les lumières écossaises, Rousseau, Schopenhauer), sur l’intelligence de son intérêt (l’utilitarisme), ou sur l’exigence rationnelle (Kant); lui assigner une origine (fondement # origine) en Dieu (morale théologique), dans la société (morale sociologique façon Durkheim), dans l’intériorisation des interdits (Freud) etc. https://www.philolog.fr/obligation-ou-devoir/
    Voyez cet article: https://www.philolog.fr/le-fondement-passionnel-du-rapport-moral/
    On en peut pas concilier les analyses si l’on refuse une espèce d’éclectisme incohérent.
    Par exemple, une morale sentimentale exclut le dualisme de la nature et de la liberté, central chez Kant.
    Bien à vous.

  18. anne dit :

    Merci infiniment de votre réponse.
    Je vous réponds avoir d’avoir vérifié vos liens, excusez-moi .
    Vous me mettez justement en garde contre ‘ l’éclectisme incohérent’ donc pour vous, on ne peut pas concilier pitié et raison comme socle moral : la morale est sentimentale ou rationnelle, on peut pas mélanger. diriez-vous qu’il y a différence de degré ou de nature?
    la morale sentimentale est-elle ‘inférieure’ à la morale ‘rationnelle’ ou est-elle autre?
    Pourriez-vous aussi svp préciser ce que vous entendez par ‘dualisme de la nature et de la liberté’ chez Kant ?
    Par ailleurs, je pensais qu’il y avait somme toute un lien étroit entre Kant et Rousseau – ou que Kant avait hérité presque de Rousseau- quand il s’agit de morale car à la lecture du passage de l’Emile sur ‘ conscience! conscience’! ‘ et son insistance sur le tribunal intérieur infaillible qui nous fait entendre notre devoir , n’est -il pas légitime de penser à la loi morale qui nous habite selon Kant ? ou dois-je comprendre que la voix rousseauiste vient du coeur , pas de la raison ?
    Finalement , je trouve qu’il est difficile de ne pas être kantien quand il s’agit de morale car sa thèse est puissante , voire écrasante.
    Je vous remercie du souci que vous prenez à répondre, cette générosité intellectuelle est vraiment précieuse.
    Bien à vous, Anne
    Anne

  19. Simone MANON dit :

    Bonjour Anne
    Il me semble que vous devez commencer par connaître les analyses des auteurs car vos questions montrent vos lacunes sur des points élémentaires.
    Les liens que je vous ai signalés sont importants.
    Pour Kant, vous avez de nombreux cours. Voyez particulièrement:
    https://www.philolog.fr/la-morale-kantienne-rigorisme-et-formalisme/
    https://www.philolog.fr/kantle-fondement-trans-affectif-du-rapport-moral-lethique-du-respect/
    https://www.philolog.fr/liberte-et-obligation-kant/
    Pour Rousseau. Bien comprendre que pour cet auteur: « les actes de la conscience morale ne sont pas des jugements mais des sentiments »:
    Relisez le passage de l’Emile auquel vous faîtes allusion:
    « Jetez les yeux sur toutes les nations du monde, parcourez toutes les histoires. Parmi tant de cultes inhumains et bizarres, parmi cette prodigieuse diversité de moeurs et de caractères, vous trouverez partout les mêmes idées de justice et d’honnêteté, partout les mêmes notions de bien et de mal. L’ancien paganisme enfanta des dieux abominables, qu’on eût punis ici-bas comme des scélérats, et qui n’offraient pour tableau du bonheur suprême que des forfaits à commettre et des passions à contenter. Mais le vice, armé d’une autorité sacrée, descendait en vain du séjour éternel, l’instinct moral le repoussait du cœur des humains. En célébrant les débauches de Jupiter, on admirait la continence de Xénocrate ; la chaste Lucrèce adorait l’impudique Vénus ; l’intrépide Romain sacrifiait à la Peur ; il invoquait le dieu qui mutila son père et mourait sans murmure de la main du sien. Les plus méprisables divinités furent servies par les plus grands hommes. La sainte voix de la nature, plus forte que celle des dieux, se faisait respecter sur la terre, et semblait reléguer dans le ciel le crime avec les coupables. Il est donc au fond des âmes un principe inné de justice et de vertu, sur lequel, malgré nos propres maximes, nous jugeons nos actions et celles d’autrui comme bonnes ou mauvaises, et c’est à ce principe que je donne le nom de conscience (…). Mon dessein n’est pas d’entrer ici dans des discussions métaphysiques qui passent ma portée et la vôtre, et qui, dans le fond, ne mènent à rien. Je vous ai déjà dit que je ne voulais pas philosopher avec vous, mais vous aider à consulter votre cœur. Quant tous les philosophes du monde prouveraient que j’ai tort, si vous sentez que j’ai raison, je n’en veux pas davantage. Il ne faut pour cela que vous faire distinguer nos idées acquises de nos sentiments naturels ; car nous sentons avant de connaître ; et comme nous n’apprenons point à vouloir notre bien et à fuir notre mal, mais que nous tenons cette volonté de la nature, de même l’amour du bon et la haine du mauvais nous sont aussi naturels que l’amour de nous-mêmes. Les actes de la conscience ne sont pas des jugements, mais des sentiments. Quoique toutes nos idées nous viennent du dehors, les sentiments qui les apprécient sont au-dedans de nous, et c’est par eux seuls que nous connaissons la convenance ou disconvenance qui existe entre nous et les choses que nous devons respecter ou fuir. (…) Conscience ! conscience ! instinct divin, immortelle et céleste voix ; guide assuré d’un être ignorant et borné, mais intelligent et libre ; juge infaillible du bien et du mal, qui rends l’homme semblable à Dieu, c’est toi qui fais l’excellence de sa nature et la moralité de ses actions ; sans toi je ne sens rien en moi qui m’élève au-dessus des bêtes, que le triste privilège de m’égarer d’erreurs en erreurs à l’aide d’un entendement sans règle et d’une raison sans principe. » Emile ou de l’éducation, livre quatrième, La profession de foi du Vicaire savoyard, Garnier-Flammarion, 1966, pp. 375-378.

    https://www.philolog.fr/rousseau-la-bonte-naturelle/
    Bien à vous.

  20. Anne dit :

    Merci de votre réponse et de me renvoyer au texte entier de l’Emile.
    Donc on peut dire que Rousseau voit en la conscience un ‘principe’, une ‘règle’ de vie . Pour lui c’est finalement le sentiment qui guide l’entendement sur le chemin du bien et le fondement de la morale est dans le sentiment alors que pour Kant – qui admet que chacun de nous sait spontanément ce que c’ est que son devoir puisque ce n’est pas une question de savoir à acquérir , que même un enfant de 8 ans est capable de résoudre un problème moral – l’homme a besoin d’user de son jugement pour clarifier son devoir car les inclinations et les besoins viennent sans cesse pervertir l’idée première et juste qu’il en a et qui donc se corrompt dans le monde sensible . Il y a conflit donc entre raison et motifs de l’action . Le fondement de la morale est rationnel pour lui car il croit en ce pouvoir de la raison de purifier la volonté et la rendre bonne, cad en accord avec la loi morale , c’est ça ?
    Merci d’avance
    Anne

  21. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Remarquez que dans le texte de l’Emile, Rousseau dit de la conscience qu’elle est un « instinct divin », ou une « voix céleste ». Il souligne par là sa spontanéité. Un instinct est une tendance naturelle, innée. La civilisation peut en étouffer la voix, elle ne peut l’éradiquer. Le salut moral a donc sa condition de possibilité dans notre sensibilité pour autant que le développement de notre raison ne l’altère pas. (= chez Rousseau: la nature est originairement bonne, la sensibilité innocente. Le principe de la corruption est dans le processus de civilisation ou de développement de la raison)
    A l’inverse, pour Kant la sensibilité, la nature est étrangère à la moralité. En tant que nous sommes un être sensible, nous aspirons à la satisfaction de nos besoins et de nos désirs, autrement dit à être heureux. Il établit un dualisme de la sensibilité et de la raison ou de la nature et de la liberté. La condition de possibilité de la moralité est le déploiement de notre être de raison capable de se représenter la loi morale et d’en faire le principe de sa volonté. Un enfant de huit ans n’est plus un enfant, il a atteint l’âge dit « de raison ».
    Tant que c’est une inclination sensible qui donne sa règle à la volonté (en termes kantiens qui la détermine), cette dernière n’est pas une volonté morale. La volonté morale est une « raison pratique », c’est-à-dire une volonté qui se rend indépendante (= liberté) des mobiles sensibles (ou pathologiques) pour obéir à la loi donnée par la raison (motif rationnel).

    Bien à vous.

  22. Pauline dit :

    Bonjour Madame,

    Vous développez dans cet article l’idée que les respect s’obtient finalement par des vertus morales. Je me demandais ce qu’il en était des rois et des empereurs, notamment lors de l’ère impériale romaine. Ils n’étaient pas toujours des hommes bons et beaucoup d’entre eux étaient des tyrans. Etait-ce pour autant un respect « forcé »? Leur statut et leur grandeur leur procurer, malgré leurs frasques, le respect de leur royaume. C’est, si je ne me trompe pas, « le respect d’établissement ». Eux-mêmes faisaient tout pour être respectés (à savoir si le respect obtenu était le résultat de la crainte ou d’un véritable respect…) J’aurais aimé me renseigner un peu plus sur cette vision du respect. Pouvez-vous me conseiller des auteurs qui en parleraient?
    Cordialement

  23. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Vous avez raison de penser à la distinction pascalienne des grandeurs naturelles et des grandeurs d’établissement. A ces différentes grandeurs correspondent différents respects.
    Cf. https://www.philolog.fr/trois-discours-sur-la-condition-des-grands-pascal-1670/
    Voyez le commentaire du deuxième discours.
    Bien à vous.

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