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Le discours de la haine en lieu et place du discours de la guerre. André Glucksmann.

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    Avec sa Théorie du partisan (1963), Carl Schmitt [1] avait annoncé l’émergence d’un nouveau nomos de la terre sur les ruines du système westphalien. Dépassé le discours de la guerre, tel qu’un Clausewitz pouvait encore le théoriser. Désormais le combattant irrégulier se substitue au soldat régulier, le haut degré de mobilité du combat actif fait la nique aux armées régulières, le haut degré d’intensité de l’engagement militant lui confère la dimension d’une fureur démesurée propre à contaminer les âmes et à dévaster les cités.

   Malgré les avertissements, on ne peut s’empêcher d’être impressionné par la justesse de la prophétie. Les attentats terroristes de ces dernières années ne laissent plus de doute. Les Etats ont bel et bien perdu le monopole de la violence et celle-ci, disséminée dans l’ensemble du corps social, opère sans relâche son travail de sape. Obsolète, l’utopie des Lumières. Mais l’esprit peut encore s’efforcer d’être vigilant pour faire contrepoids aux venins que déversent dans leurs discours et leurs actions les intoxiqués à la haine. Ils sont légions dans les sociétés occidentales et prennent différents visages selon les époques, pas seulement celui de l’intégriste islamique, même si c’est aujourd’hui l’espèce la plus visible et la plus dangereuse.

   Je dois avouer que les attentats de janvier m’ont découragée de continuer à alimenter mon blog. Ceux du 13 novembre ne font qu’aggraver les choses. Et pourtant, contre le poison du nihilisme, il faudrait plus que jamais rappeler les valeurs de notre civilisation, clamer haut et fort les vertus de l’exception européenne [2], réarmer moralement les esprits que de trop nombreux discours ont aveuglés sur la nature de nos institutions et de nos principes. On a trop appris à critiquer, à grossir les points faibles au mépris de ce qu’il aurait fallu apprendre à célébrer. Or en face des fanatiques habités par la rage de détruire, il faudrait des citoyens puisant leur force dans la certitude de la valeur du monde auquel ils appartiennent, fiers d’eux,  inébranlables dans la volonté de le défendre contre les semeurs de mort. Je ne sais pas si nous serons capables de relever le défi, mais je ne doute pas que la tâche des intellectuels sera davantage d’encourager que de démoraliser.

   La lucidité d’André Glucksmann m’a semblé de nature à remplir ce rôle. J’ai relu Dostoïevski à Manhattan et Le discours de la haine. Le texte que je présente est extrait de ce dernier ouvrage publié en 2004.

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   « Le terroriste nouvelle donne s’affiche nihiliste. Sans tabou. Sans règle. Sans foi ni loi. Pourquoi dissimulerait-il sa haine effrénée ? Il la brandit comme une baguette magique. Elle décuple la frayeur qu’il diffuse. Aucune limite géographique, politique, morale, idéologique, ne trouve grâce à ses yeux. Il massacre les siens et pas moins l’étranger, les promeneurs et les militaires, les nourrissons, les fillettes et les vieillards. Dans cette permanente transgression de toute retenue édictée par les us et coutumes, il affirme la terrible hybris grec, furor latine, où les anciens pointaient le ressort de la tragédie et la dynamique des catastrophes. Alors que le guerrier traditionnel s’échine à dompter en lui et contenir en l’autre une rage sauvage dont il veut rester maître et non finir esclave, le possédé d’aujourd’hui fait bloc avec sa fureur, sans distance, sans scrupule, sans retour en arrière.

[…]

   C’est cela la haine pure. Laisser libre cours à l’hybris meurtrière, signale la tragédie antique, provoque la peste et programme l’enfer sur terre. Une guerre traditionnelle, si sauvage soit-elle, se termine. La guerre terroriste, en revanche, abandonnée à la fureur sans limites, ne connaît  pas de cessez-le-feu. Elle substitue à la démonstration de force la démonstration de haine, qui, nourrie de ses propres abominations, devient inextinguible.

   Les animaux croqueurs de cadavres accourent empester la cité, insiste Sophocle. La maladie éminemment contagieuse est à prendre au pied de la lettre, la haine diffuse la peste, la peste s’inocule à tous, adversaires et amis, la haine distille son venin en guise d’antidote. Infligeant sévices, tortures, humiliations à leurs prisonniers des soldats, en principe civilisés, en viennent à traiter des vivants comme des morts pour franchir allégrement les frontières qui séparent la république du jour de la tyrannie de la nuit. « Qui-a-la-haine » ne connaît en lui et ne reconnaît autour de lui que l’infection qu’il propage comme une législation unique et universelle. » Plon, 2004, p.23 à 28.

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   «  Jusqu’au 11 septembre 2001, les guerres froides ou chaudes se tramaient autour de lignes de front repérables. Les conflits d’Etat à Etat impliquaient le respect, ou le franchissement, ou le déplacement de frontières géographiques toujours parfaitement perceptibles. Les insurrections civiles et les révolutions visaient la prise du pouvoir sur un territoire circonscrit, non moins visible. Le terrorisme – l’agression délibérée de civils désarmés par des hommes armés (en uniforme ou sans) – manifestait sa rage à l’intérieur et à l’intérieur seulement de ces frontières. Ainsi les communistes vietnamiens ne se privèrent-ils pas, comme trop de mouvements d’indépendance, d’extorquer l’assentiment et le « soutien » du peuple en le martyrisant. Néanmoins cette mobilisation féroce restait d’usage interne, les comptes avec l’ennemi se réglaient sur les champs de bataille, à Diên Biên Phu 1953, à Saigon 1975. Les « Viêt-congs » n’avaient pas idée d’aller faire sauter Paris ou New York. Jamais le terrorisme endogène ne fut exporté, sciemment, au cœur des métropoles ennemies en vue d’obtenir la victoire, non plus par la force des armes, mais par la panique des âmes.

   Certes les bombardements « psychologiques » des villes ont souvent accompagné les offensives militaires, cependant la distinction entre l’arrière et le front subsistait. «  Dans la guerre, tout est soumis à cette loi suprême qu’est la décision par les armes. La lutte consiste à sonder, les forces morales et physiques au moyen de ces dernières », (Clausewitz).La stratégie des bombes humaines abolit ce découpage canonique. Il n’y a plus de champ de bataille, plus de ligne de front. Il n’y a plus d’arrière, tout habitant civil se retrouve soldat malgré lui et condamné en puissance. Le but de l’internationalisation du terrorisme est de transformer, par la crainte et le tremblement, l’humanité entière en une collectivité de morts-vivants, apathiques et tétanisés par l’évidence de leur intrinsèque vulnérabilité.

   Les défaillances, les imprévoyances, les erreurs des systèmes de sécurité américains, avant et après le 11 septembre, dépassent, les traditionnelles paralysies bureaucratiques. Il ne suffit pas davantage d’incriminer le « manque d’imagination » propre aux états-majors, en retard, comme d’habitude, d’une guerre. On s’interrogeait sur Ben Laden. Sur ses moyens, de quel arsenal dispose-t-il ? armes atomiques, biologiques, chimiques ? combien de divisions ? sur quels territoires et populations veut-il étendre son emprise ? quels alliés ? quelles bases arrières ? Bref, on le jaugeait à l’ancienne et on le sous-estimait.

   Ben Laden ne mobilise pas des forces classiques, mais des haines. Des haines, qui, armées d’un simple cutter, valent des engins autrement sophistiqués.  Ben Laden visent moins des territoires que les cervelles, il promeut l’universalisation, sous sa houlette, des fièvres antioccidentales. Les experts américains expertisaient en fonction de l’état de guerre, donc sous-évaluaient le chef terroriste, le considérant comme un acteur infra-étatique qui ne fait pas le poids. Les stratèges s’aperçurent avec retard que le terrorisme mondialisé change radicalement la règle, les affrontements et les enjeux.

   Progressivement l’ampleur du défi se dévoile, il outrepasse le cadre des mesures de police ou des opérations militaires si nécessaires soient-elles, il embrasse l’espace planétaire et la longue durée d’une génération au moins. Les partages et les équilibres entre blocs ont sauté. Sous l’état de guerre (froide ou chaude) surgit non pas la concorde universelle, mais un état de haines, froides, bouillantes, latentes ou manifestes, toujours difficiles à contenir.

   La guerre se joue autour d’un « centre de gravité » dont la prise entraîne la capitulation. Or, remarque Clausewitz, la nature de ce centre varie et avec elle la forme du conflit. Selon que la décision dépend de la personne du prince – François Ier fait prisonnier, la France est défaite- ou bien de la survie d’une capitale, ou de celle d’un appareil susceptible de mobiliser politiquement et industriellement la nation. La guerre terroriste, qui vise l’esprit du citoyen au moyen de destructions matérielles terrifiantes, n’est-elle qu’une nouvelle forme de la décision par les armes ou bien, plus originale et radicale, nous contraint-elle à sortir du cadre du discours de la guerre pour, comme ce livre tente de l’indiquer, nous confronter directement au discours de la haine ?

   L’état de guerre, tel que le définit l’Europe classique et moderne, limite les conflits armés décisifs aux conflits entre souverainetés : « Il n’y a point de guerre entre les hommes : il n’y en a qu’entre les Etats » Quoi qu’en pense Jean-Jacques Rousseau un tel axiome n’est ni naturel ni originel, pareille règle du  jeu ne vaut qu’à partir de 1648, date du traité de Westphalie. Et si elle domine le droit européen – jus gentium-, elle tombe en  quenouille dès la fin de la guerre froide. Pendant trois siècles, laps de temps assez bref au regard de la longue histoire du vieux continent, les Etats ou les  blocs d’Etat maîtrisent en effet l’échelle entière des violences possibles.

   Au sommet, aucun pouvoir supra-étatique ne domine « le concert des grandes puissances », soit : le cercle restreint des Etats et des alliances entre Etats, qui se partagent la planète et s’y taillent des empires.

   A la base, toute capacité subversive est soumise au « monopole de la violence légitime » (Max Weber) que revendique l’Etat centralisé depuis la fin des guerres de Religion.

  Cette double maîtrise des désordres d’en dessous et d’au-dessus permet à l’Etat, conservateur, révolutionnaire, de droite, de gauche, monarchique ou républicain de s’affirmer acteur unique de l’état de guerre donc promoteur unique des Paix Possibles.

   Eu égard à la pluralité des Etats, leur grandeur et leur force sont relatives, chaque acteur « est forcé de se comparer sans cesse pour se connaître », dit Rousseau. L’Europe, puis le monde, demeurent en permanence un champ de rivalités, d’alliances et de contre-alliances, de concurrence économique, de course aux armements, de défis culturels et idéologiques : cet « état de guerre » perpétuel ne signifie aucunement que les batailles sanglantes deviennent fatales ni même nécessaires. Rousseau précise encore : l’état de guerre, « disposition mutuelle, constante et manifeste », n’est pas la guerre ; au contraire, c’est en pesant et contre-pesant les rapports de rivalité qu’on assied le cessez-le-feu et qu’on construit les paix.

   Puisque l’état de guerre se résume aux rapports entre Etats, la responsabilité de l’équilibre européen, puis mondial, donc des paix, leur échoit. Cette proposition d’apparence banale entraîne une conséquence qui l’est moins : les débordements de haine intra ou inter-étatiques sont par principe maîtrisables par les puissances souveraines.

   À l’intérieur de chaque pays, le monopole de la violence légitime impose aux passions populaires l’autorité de l’exécutif et le respect des lois établies (si révolution il y a, elle change l’Etat mais maintient le principe de sa souveraineté).

   Entre les Etats, la haine peut certes fleurir, voire précipiter un affrontement sanguinaire, néanmoins la guerre demeure affaire d’Etat, ce ne sont jamais les haines mais les armes qui ont le dernier mot.

   Si tu veux que ta haine triomphe donne-toi un Etat armé jusqu’aux dents, si tu veux te protéger contre la haine du voisin prépare ta guerre contre celle dont il te menace. L’axiome de Clausewitz tient bon : les forces « morales » (et immorales) sont mesurées par les forces « physiques « sur le champ de bataille. Le discours de la guerre est alors plus décisif que le discours de la haine. Même Hitler, spécialiste ès diabolisations de l’adversaire, sera vaincu, non par un assaut de vitupérations, mais avec les moyens et les alliances nécessaires pour l’emporter prosaïquement sur le terrain.

   Cette règle de fer du jugement sur pièces et du paiement cash trébuche devant le terrorisme qui esquive l’empoignade terre à terre pour vivre à crédit en livrant des batailles  principalement mentales. Adieu Austerlitz, Verdun et Stalingrad. Panique et décervellement se font fort de contraindre l’adversaire à poser les armes et à baisser les bras. Les trains explosés en gare d’Atocha montrent une efficacité supérieure à l’alignement de troupes. Prises d’otages, décapitations filmées et diffusées, voitures piégées et bombes humaines font le reste.

   La guerre ne décide plus de la survie ou non des haines, puisque c’est la haine et la servitude volontaire qu’elle génère chez sa victime qui couronnent les terroristes des palmes de la victoire.

   1648. Plus d’autorité supra-étatique, l’antique querelle du Sacerdoce et de l’Empire est résolue par la disparition simultanée des deux prétendants à la régie unitaire du vieux continent. La religion s’accommode ou se subordonne, croyance du prince et religion des sujets doivent coïncider. Pas davantage de pouvoir autonome infra-étatique : féodaux, corporations, particularismes locaux se soumettent ou se démettent.

   Le contrat du traité de Westphalie assure aux grandes puissances européennes la direction des affaires européennes de la cave au grenier. Les acteurs grandissent ou se ratatinent, s’allient, se séparent, s’absorbent les uns les autres, mais malgré d’épouvantables conflits, la structure de l’état de guerre ne varie pas, qui veut que les Etats et eux seuls mènent le jeu.

   Même la guerre froide, où les Etats volontaires ou contraints font « bloc », soumet l’idéologie au « bloc » et le pseudo-universel marxisme à la gestion de Moscou, Pékin, etc. Les centres du monde demeurent les Etats, le discours de la guerre commande leurs calculs et leurs espérances, l’échange de menaces et de contre-menaces, des coups et des promesses. Pour une raison simple : les moyens de détruire et de se défendre sont plus que jamais monopolisés par les entités étatiques. Entre elles la dissuasion guide leurs pas et leurs faux pas. Au-dessous d’elles, l’ordre est maintenu, non sans tragiques « bavures », par la poigne totalitaire à l’Est et le consensus des Etats de droit à l’Ouest.

   Après la guerre froide : plus rien ? le calme plat ? la station balnéaire Pour tous ?

   Rien au-dessus. Les religions séculaires et les prophéties marxistes sont à l’agonie. Rien au-dessous, les subversions sont sans objet puisque les utopies sont vides. La fin de la guerre froide parut promesse de paix éternelle pour des Etats occidentaux et nantis, persuadés qu’ils avaient plus à perdre qu’à gagner dans le recours aux armes en vue de régler des disputes désenchantées. L’enjeu ne vaut pas la chandelle qui mettrait le feu à la plaine, comme en 14 ou en 40.

   La mondialisation du terrorisme dissipa ce rêve aussi charmant qu’inconsistant. Puisque la bombe humaine existe, le monopole des grands moyens de destruction échappe pour la première fois depuis 1648 aux Etats. Lesquels deviennent des acteurs parmi d’autres, certes encore très importants, mais parmi d’autres qui disposent d’un pouvoir de dévastation imprévu et fort important lui aussi.

   Il faut désormais doubler la lecture de Karl von Clausewitz, toujours de bon conseil, car rien ne se dissipe totalement et tout se surajoute, par celle de Michel de Montaigne.

   Dommage que les Français se satisfassent d’un sempiternel c’est-la-faute-à l’hyperpuissant américain. Quand ils se fatigueront d’une aussi courte explication, ils découvriront à la lecture des Essais de Montaigne quelques trésors de pensées plus subtiles. Entre les guerres de Religion qui ravagent la France à son époque et celles qui menacent la sécurité planétaire d’aujourd’hui, les ressemblances sont criantes.

    Hier comme aujourd’hui, les boucheries menées au nom de Dieu ne sont pas religieuses mais terroristes. Elles invoquent le Très-Haut à des fins très basses. «  Entre nous ce sont choses que j’ay toujours vécues de singulier accord : les opinions supercélestes et les mœurs souterraines. »

   Hier comme aujourd’hui, les délires théologico-politiques, nos folies « grammairiennes », ensauvagent les conflits. « Il n’est point d’hostilité excellente comme la chrétienne. Notre zèle faict merveilles, quand il va secondant notre pente vers la haine, la cruauté, l’ambition, l’avarice, la destruction, la rébellion. »

  Les guerres étrangères escaladent en guerres civiles, familiales, en pestes intérieures,  « Monstrueuse guerre : les autres agissent au-dehors, cette-cy encore contre soy se ronge et se défait par son propre venin. »

   Hier comme aujourd’hui, de tels ébranlements n’annoncent pas la victoire des uns sur les autres, mais leur ruine commune, «  en cette confusion où nous sommes depuis trente ans, tout homme français, soit en particulier, soit en général, se voit à chaque heure sur le point de l’entier renversement de sa fortune ». De même que Lire Lolita à Téhéran génère un beau livre, lire Montaigne à Kaboul, à Beyrouth, à Grozny vaut Guide Bleu pour traverser les années noires. « Au lieu de consolider la foi, j’éveillais à la recherche. Au lieu de fortifier une raison, un principe, je poussais à l’esprit critique, au doute méthodique, à la lucidité », dit Saïd Bahodine Majrouh. J’ai connu, grâce à Bernard Kouchner, ce voyageur de Minuit, poète philosophe, l’ancien doyen de l’université de Kaboul, il aimait Montaigne et Descartes; résistant antisoviétique, ami de Massoud, il fut assassiné, réfugié à Peshawar, par un commando islamiste, quand « la longueur du poil fit loi, et quiconque ne s’affublait pas de l’ostensible et sacro-sainte barbe se voyait mis à l’index, mauvais homme et mauvais croyant, indigne de faire partie de l’intransigeante et pure cohorte des Frères Ennemis de Satan».

   Montaigne explore un espace pré-clausewitzien où la guerre fait rage sans qu’un Etat en assume la direction et la responsabilité, à charge pour les simples individus soucieux de survivre d’en maîtriser l’impétuosité. Ne vous y trompez pas. Montaigne ne se fait pas l’apôtre de la non-violence, il confesse la haute estime que lui inspire le métier des armes. Il sait qu’il convient, à l’occasion, de résister à la guerre par la guerre. Peu enclin aux solutions utopiques Montaigne était clausewitzien avant la lettre, en amont de Clausewitz, antérieurement à l’équilibre du traité de Westphalie, avant qu’un souverain (Henri IV qu’il soutient) soit en mesure d’élever l’Etat au-dessus des conflits confessionnels. La question de Montaigne, celle qui taraude son œuvre, c’est le moderne état de haine, l’alliance entre une cruauté sans limites et le discours qui la légitime. « Il ne se peut imaginer un pire visage des choses qu’où la méchanceté vient à estre légitime et prendre, avec le congé du magistrat, le manteau de la vertu. »

   L’économie des trois livres des Essais tient tout entière là : couper la haine du discours complice qui lui ouvre les consciences, la rend présentable, admissible, aimable, désirable. Dépouiller la cruauté des mots qui la maquillent. Faire apparaître l’inhumain dans sa sordide nudité » Ibid., p. 208 à 218.