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 Spinoza

 

 Contrairement à Platon qui fait du désir le résultat d'une mutilation de notre essence, Spinoza affirme que «  Le désir est l'essence de l'homme ». Le désir est l'humanité même. L'homme est par nature une puissance d'exister, un mouvement pour persévérer dans l'être c'est-à-dire pour exister encore et toujours plus. Tout existant est un conatus, c'est-à-dire un effort pour persévérer dans l'être, un conatus d'auto affirmation. Le conatus au sens spinoziste est  une force qui s'affirme et poursuit son propre accroissement parce que celui-ci est vécu comme Joie.

 

   Commentant Spinoza, Deleuze écrit : « Le conatus ne doit pas être interprété comme tendance à passer à l'existence ...mais comme tendance à persévérer dans l'existence »

  Il s'ensuit qu'il n'y a rien hors du désir dont il manquerait. En réalité c'est lui qui produit ce manque parce qu'en constituant tel objet comme désirable, il déploie la puissance d'exister. Il n'y a pas de désirable en soi. C'est le désir qui est la source de la désidérabilité des objets, c'est lui qui est à la source des évaluations. Nous ne désirons pas une chose parce que nous jugeons qu'elle est bonne, nous jugeons qu'elle est bonne parce que nous la désirons.

Spinoza récuse par cette analyse l'indépendance de la faculté de juger (l'entendement) par rapport au désir et la liberté de la volonté. L'homme est désir, conatus, effort pour déployer son existence. Son essence est de désirer c'est-à-dire de vouloir et de juger bon ce qu'il désire.

Chaque essence ou nature est singulière. Il n'y a pas de désirable en soi, il n'y a que du désirable pour chacun de nous. L'éthique spinoziste disqualifie les notions absolues et universelles de bien et de mal au profit de celles de bon et de mauvais, d'utile et de nuisible. « La musique est bonne pour le mélancolique, mauvaise pour qui éprouve de la peine, mais pour le sourd elle n'est ni bonne ni mauvaise » Ethique IV. Préface.

  Le spinozisme est donc une philosophie de l'immanence. Le seul être qui soit, est le réel. Il n'y a pas de transcendance dont nous serions la nostalgie. Il n'y a que de l'être, et le propre de cet élément de l'être que je suis est d'affirmer son existence. Les affects exprimant l'affirmation de son être et son accroissement sont du ressort de la joie. (Ainsi de l'amour, de l'amitié, de l'admiration, de l'estime de soi et d'autrui, du plaisir, de la jouissance etc.). Ceux qui expriment une diminution de la puissance d'exister sont du ressort de la tristesse. (Ainsi de la souffrance, de la haine, de la jalousie, de la crainte, de l'angoisse, du remords, de l'humilité etc.).

  Le problème pour Spinoza est de comprendre pourquoi, plutôt que d'affirmer l'existence sur le mode de la joie c'est-à-dire de l'affirmation et de l'augmentation, le désir puisse l'exprimer sous la forme de la tristesse c'est-à-dire de la négation et de la diminution de la puissance d'exister. Pour rendre intelligible ce fait Spinoza propose de distinguer le désir actif et le désir passif.

  Je suis passif lorsque mon affirmation ne procède pas de la nécessité de ma nature, mais de la nécessité d'une nature extérieure à moi et qui agit sur moi. Je suis donc enclin, sous l'effet de cette passion à me projeter vers des fins ou des objets qui peuvent m'attrister au lieu de me réjouir.

  Le désir est actif lorsqu'il exprime la nécessité de ma nature.

  Ex : Sous l'influence de mes parents, je peux désirer faire des études longues alors que l'étude m'ennuie profondément. Soumis à la séduction de telle personne je peux m'attacher à elle alors qu'elle me rend profondément malheureux.

  Le drame dans ces cas de figure, c'est que j'imagine que certains objets sont bons pour moi, alors qu'ils sont mauvais. Je n'ai pas une idée adéquate de mon désir et je me fourvoie dans des expressions aliénées de ma puissance d'exister. La solution est de s'efforcer d'avoir une idée adéquate de son propre désir, ce qui est possible grâce à la raison car elle est une faculté de comprendre.  Ainsi «  Chacun a le pouvoir de se comprendre lui-même et de comprendre ses affects d'une façon claire et distincte sinon totalement, du moins en partie, et il a par conséquent le pouvoir de faire en sorte qu'il ait moins à les subir » Ethique V Prop.4, scolie.

  Seule un critique rationnelle de l'imagination permet donc au désir d'avoir une idée adéquate de lui-même, d'être actif c'est-à-dire d'accomplir la puissance d'exister sous la forme de la joie.

  Le spinozisme est une philosophie de la joie et... de la liberté. Etrange affirmation si on ne conçoit la liberté que comme libre arbitre. Car le libre arbitre est, pour Spinoza, une illusion et il ne s'agit pas d'y revenir. Mais « Je dis qu'une chose est libre qui existe et agit par la seule nécessité de sa nature ; et contrainte une chose qui est déterminée par une autre à exister et à agir ». Lettre à G.H. Schuller

Spinoza donne donc une définition paradoxale de la liberté. La liberté ne s'oppose pas à la nécessité car elle est la nécessité comprise et agie (en connaissance de cause). Le contraire de la liberté n'est pas la nécessité c'est la contrainte. Libre, l'être agissant selon la nécessité de sa nature, contraint celui qui est déterminé à agir par une cause extérieure. Or tel est le cas de la nécessité passionnelle. Agir sous l'empire des affects, c'est subir, c'est agir selon une nécessité extérieure à ma nécessité propre. Seul celui qui vit sous le commandement de la raison, qui comprend la nécessité des choses et la sienne propre peut être libre et heureux. C'est le propre d'une vie réfléchie qui jouit d'elle-même et de tous les biens qui sont à sa portée. Car vivre et se réjouir, voilà l'authentique vertu. L'homme réfléchi s'efforce d'affirmer la nécessité de sa nature et de l'accorder à celle des autres car rien n'est plus réjouissant que de vivre dans l'adéquation à soi et dans l'adéquation aux autres.

  NB : Cette idée que la liberté consiste à se libérer par la connaissance de ce qui nous aliène pour agir selon sa nécessité propre est aussi l'analyse de Freud. Cf. Cours

Cf. https://www.philolog.fr/eloge-du-plaisir-spinoza/#more-3534

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119 Réponses à “Le désir comme puissance d’être. Spinoza.”

  1. Bonjour, si j’ai bien compris notre conatus exprime notre nature la plus profond. Mais Spinoza répond-il à l’origine de notre nature? D’où vient la nature de Picasso? De Zidane? Est-ce un Soi de type Jungien? Un habitus Bourdieusien?
    Cordialement.

  2. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Non, vos hypothèses n’ont rien de spinozistes.
    La nature de tel ou tel est l’effet d’une cause immanente que Spinoza appelle Dieu ou la nature car « Tout ce qui est, est en Dieu, et sans Dieu, rien ne peut ni être, ni se concevoir » affirme Spinoza. Tout ce qui existe est donc l’expression de la puissance ou de la perfection divine.
    Spinoza distingue la nature naturante et la nature naturée mais il s’agit d’une seule et même chose considérée sous des angles différents. Les effets (telle ou telle réalité existante) ne peuvent pas être conçus indépendamment et séparément de leur cause.
    Cf. Le scolie de la proposition 29 de la première partie de l’Ethique : « Avant d’aller plus loin, je veux expliquer ici ce qu’il nous faut entendre par Nature naturante et Nature naturée, ou plutôt le faire observer. Car j’estime que ce qui précède a déjà mis en évidence que, par Nature naturante, il nous faut entendre ce qui est en soi et se conçoit par soi, autrement dit tels attributs de la substance, qui expriment une essence éternelle et infinie, c’est-à-dire Dieu considéré en tant que cause libre. Et par naturée, j’entends tout ce qui suit de la nécessité de la nature de Dieu, autrement dit de chacun des attributs de Dieu, en tant qu’on les considère comme des choses qui sont en Dieu, et qui sans Dieu ne peuvent ni être ni se concevoir ».
    Voyez aussi le court traité. Le chapitre VIII, intitulé de la Nature naturante, de la première partie.
    « Avant d’aller plus loin et de passer à un autre sujet, nous diviserons toute la nature en deux parties, la nature naturante et la nature naturée.
    Par nature naturante, nous entendons un être qui, par lui-même et sans le secours d’aucune autre chose (comme les propriétés ou attributs que nous avons déjà décrits), peut être connu clairement et distinctement, tel qu’est Dieu : c’est en effet Dieu que les Thomistes désignent par cette expression ; mais la nature naturante comme ils l’entendaient était un être en dehors de toute substance.
    La nature naturée se divisera en deux parties, l’une générale, l’autre particulière. La première se compose de tous les modes qui dépendent immédiatement de Dieu (nous en traiterons dans le chapitre suivant) ; la seconde consiste dans les choses particulières qui sont causées par les modes généraux, de telle sorte que la nature naturée, pour être bien comprise, a besoin d’une substance. »
    En espérant susciter le désir d’une lecture approfondie de Spinoza.
    Bien à vous.

  3. FRANCOIS dit :

    Bonjour Madame, j ‘avoue être en admiration par la construction du système spinoziste pour tenter d’ évacuer la liberté humaine et affirmer le déterminisme total selon la nécessité de la nature. Cependant , une chose me taraude quand même : comment Spinoza peut il d’ un coté nier le libre arbitre et de l autre dire que pour connaitre la béatitude du sage il faut passer de la connaissance du premier genre à la connaissance du second puis à la connaissance du troisième genre . Il s’ agit bien d une décision volontaire , si tout est déterminé , je n’ ai pas le choix de cette ascension . Or Spinoza nous dit bien que chacun peut se libérer par lui même . Comment sortir de ce paradoxe ? Merci pour votre éclairage.

  4. Simone MANON dit :

    Bonjour
    La nécessité de la nature inclut aussi bien pour l’homme la nécessité rationnelle que la nécessité passionnelle.
    Il faut bien comprendre que la raison est une faculté présente en tout homme, qu’elle est un pouvoir de comprendre et que dès que l’on comprend rationnellement on exerce la puissance de notre nature, puissance par laquelle on s’auto-affecte de joie.
    C’est par la médiation de cet affect (qui est moins une passion qu’une action) qu’on se libère de la servitude passionnelle.
    Pour approfondir cette question cliquez sur le lien: liberté et nécessité, Spinoza.
    Voyez les derniers commentaires. Ils peuvent peut-être vous éclairer.
    Bien à vous.

  5. FRANCOIS dit :

    Madame, je vous remercie de m’ avoir renvoyé à l ‘article « liberté et nécessité ». Je crois comme Mathieu dans les dialogues que vous avez échangés avec lui que j’ai du mal à ne pas faire de la nécessité une fatalité. Je suis complètement le raisonnement de Mathieu que j’aurai pu faire mien et j’ai poursuivi la réflexion à l ‘aide de quelques « sources autorisées » du système spinoziste avec lesquelles j’ai tenté une explication que je soumets à votre critique à l ‘ aide d’un exemple. Prenons la situation de Pierre atteint de phobies sociales ,si invalidantes , que sa puissance d’agir dans le monde se trouve considérablement affectée . La question que je me suis posée est la suivante : était il nécessaire que Pierre soit dans cet état aujourd’hui ?ou aurait il pu être autre? Si l’on admet le déterminisme absolu(comme Spinoza) la prédiction – il y a 5ans- que Pierre serait atteint de névrose aujourd’hui était vrai . Mais ce n’est pas parce que c’était vrai il y a 5 ans que Pierre est névrosé aujourd’hui ; c’ est parce qu’ il est névrosé aujourd’hui que c’était vrai il y 5ans. Aussi tout est nécessaire au présent mais sa nécessité est si j’ose dire hypothétique : elle est soumise à la condition d’ un principe ou d’un réel. La nécessaire phobie de Pierre aujourd’hui reste soumise à la contingence des évènements sociaux, génétiques , épigénétiques et environnementaux qui ont conduits Pierre à son handicap. Mais si Pierre avait déployé sa puissance rationnelle, il serait passé concernant sa maladie de la connaissance du premier genre( passivité des événements extérieurs) à la connaissance par les causes . Si je suis Spinoza, cette connaissance rationnelle est affectée d’une joie qui augmente ma puissance d’exister et donc d’agir de telle façon que Pierre eut pu entreprendre une thérapie qui aurait fait démentir son état actuel. Ici ,la nécessite ne s’oppose pas à la liberté ; si je laisse se déployer mon déterminisme intérieur( celui de la raison) , ou mon conatus , je peux en agissant me libérer du déterminisme extérieur ( même intériorises quand il s’agit des passions). Le nécessitarisme n est pas le fatalisme qui dit que tout est écrit à l avance , de sorte que l avenir serait aussi impossible à changer que le passé. Le fatalisme n’ est qu’ un contre sens sur l’ éternité : c ‘est soumette le réel au vrai , quand toute action fait l ‘inverse .

  6. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Votre raisonnement me semble problématique dans la mesure où il recourt sans précaution analytique à l’idée de contingence.
    Le déterminisme établit qu’il y a entre les phénomènes des rapports nécessaires. Tout ce qui se produit dans l’univers est l’effet d’une cause qui est elle-même l’effet d’une cause et ainsi à l’infini. Il ne dit pas qu’il y a un seul ordre de causalité de telle sorte qu’un entendement humain qui n’est pas omnicient ne peut pas prévoir à l’instant t l’état du même système à l’instant t’.
    La nécessité rationnelle étant chez l’homme tout aussi efficiente que la nécessité mécanique, s’il met en oeuvre la puissance de son esprit, l’homme peut substituer l’actif au passif, c’est-à-dire actualiser une liberté définie par Spinoza comme le propre de celui qui agit selon la nécessité de sa nature (esclave, celui qui agit selon une nécessité extérieure à la sienne).
    Le déterminisme, fût-il aussi absolu que celui de Spinoza, n’est donc pas un fatalisme car celui-ci pose que quoi qu’on fasse, les choses se produiront inéluctablement.
    Cf. http://spinoza.fr/determinisme-et-fatalisme-chez-spinoza-extraits-de-pierre-macherey/
    Bien à vous.

  7. […] » Le désir comme puissance d’être. Spinoza […]

  8. Tuo Zié Emmanuel dit :

    Bonjour professeur,
    Merci pour cette explication. J’effectuais alors des recherches sur le thème que voici: vérité et conatus chez spinoza et j’y ai découvert que chez Spinoza le conatus se résumait en cette phrase: <> cependant cela reste confus dans mon esprit. Ainsi, j’aimerai si possible avoir des explications sur cette phrase et sur le thème sur-évoqué. Merci

  9. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Pour comprendre il vous faut lire et approfondir Spinoza.
    Vous avez de nombreux articles sur ce blog propres à vous aider dans votre effort de compréhension mais personne ne peut le fournir à votre place. Utilisez l’index pour les trouver.

    Tout ce qui est se caractérise par le conatus c’est-à-dire par la tendance à persévérer dans son être, à affirmer sa vie. Mais l’homme n’étant pas « un empire dans un empire » est exposé à subir des passions et donc à former des idées inadéquates l’égarant dans la compréhension de ce qui affirme sa vie. Seule la connaissance du vrai porte le conatus à son plus haut degré de perfection, c’est-à-dire à une existence se déployant sous le signe de la joie.
    Bien à vous.

  10. anny dit :

    Bonjour de nouveau,
    Plusieurs jours ont passé et j’ai approfondi un peu ma connaissance du « spinozisme ». J’avoue avoir dû souvent me référer à des explications d’auteurs plutôt qu’aux textes si difficiles du philosophe (par ex : Deleuze, qui en brosse un portrait passionnant, l’homme martyr si intelligent et libéré de tout système…de toute opulence… si brillant…)…
    Il m’en est jailli deux idées : on pourrait trouver un semblant de bonheur (le bonheur désespéré de Comte-Sponville..) en : acceptant ce qui est et qu’on ne peut changer ; et deuxio: en faisant de notre agir (indépendant des causes extérieures) notre force d’âme, notre puissance de joie et d’exister. On serait à la jonction du passif acceptant et de l’actif puissant, ce qui nous rendrait plus heureux. On ferait surtout de la puissance de l’affect « tristesse » une puissance de la joie, de la béatitude éternelle, non assujettis aux causes extérieures, du fait de notre « désir » de bonheur. Le système de Spinoza me semble très hermétique, mais on peut le ressentir et le trouver alors magique. Je pense qu’il peut nous aider à surmonter les épreuves de la vie, à nous rendre plus courageux, moins paresseux, plus réfléchis. La puissance d’être est aussi cela ? Cette force de l’agir positif ? C’est l’essence même du spinozisme ???
    Merci encore de vos explications qui sont si utiles à cette étude complexe.
    Anny

  11. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Vous devez avoir bien conscience que seules la lecture et la méditation de l’œuvre d’un philosophe permettent de s’approprier sa pensée. Les commentateurs sont bien utiles mais ils ne sauraient se substituer à l’auteur lui-même.
    Vous semblez progresser dans votre approche du spinozisme, néanmoins certaines formules que vous employez indiquent une mauvaise compréhension.
    1) La joie n’a rien avoir avec ce que vous appelez « un semblant de bonheur ». C’est un vécu entièrement positif. Un « semblant » ou une apparence de joie est une absence de joie.
    2) Votre difficulté tient peut-être au fait que vous ne voyez pas clairement que le salut est lié à la connaissance. Comprendre la nécessité rationnelle de ce qui est exclut, d’une part, toute forme de passivité, d’autre part, le désir de changer l’ordre des choses. La connaissance est joie, amour intellectuel de la nature, béatitude. Vos expressions: « accepter ce qui est et qu’on ne peut changer », « passif acceptant » sont à cet égard problématiques.
    3) La tristesse est exclusive de la joie par nature. Il ne faut donc pas dire que la sagesse consiste à faire de l’affect de tristesse une puissance de joie. Cela est rigoureusement impossible. Elle consiste à s’affranchir des passions tristes par la connaissance rationnelle car seule celle-ci porte le conatus à son plus haut degré de perfection.

    Bien à vous.

  12. fugier annie dit :

    Chère Professeur,
    Merci de ces explications, je n’ai donc pas encore saisi ce qu’est la joie selon Spinoza ; il est vrai que ses phrases longues me sont compliquées, son langage est assez spécial, ses mots ont souvent un sens différent de ce qu’on leur donne d’habitude, il faudrait presque un dictionnaire spinoziste.
    Bien séparer la joie de la tristesse, donc et s’affirmer en connaissance, voilà le prochain travail de compréhension de cette philosophie qui me fascine tant, mais qui reste d’un accès difficile pour les novices, tout de même.
    Vous êtes une des rares à répondre clairement à nos questions, j’apprécie vraiment, cela m’aide beaucoup à avancer ; puissé-je un jour faire profiter mon entourage de cette quête d’un peu de sagesse qui m’est chère ! Au moins la manifester un peu plus dans la vie quotidienne, et serait-ce là l’un des buts de la philosophie concrète de l’éthique ?
    Bien sincèrement à vous,
    Annie.

  13. Simone MANON dit :

    Bonjour Annie
    Vous avez raison. Spinoza est un philosophe difficile d’accès comme le sont en général les créateurs de systèmes. On entre dans un système ou on reste à la porte.
    Il faut beaucoup de temps pour en cueillir les fruits. Tous mes vœux pour que vous puissiez avoir cette chance.
    Félicitations pour l’entreprise dans laquelle vous vous êtes engagée.
    Bien à vous.

  14. Laurent dit :

    Bonjour,
    merci pour votre site tres clair.
    Une question me pose probleme au sujet de la pensee de Spinoza.
    La conception de la liberté comme acceptation de la nécessité est parfaitement claire. Neanmoins, cela présuppose que l homme soit libre de sa pensée, que comme Descartes on ait trouvé une base solide sur laquelle fonder notre reflexion.
    Bref selon SPinoza sommes nous libres de penser ou sommes nous determines par ces causes qui nosu échappent à penser comme nous pensons ?
    Auquel cas, nous sommes totalement déterminés du dehors puisque meme la capacité a accepter cette détermination nous est imposée.
    Bref si l on va au fond de l’argument de Spinoza, ne se réfute t il pas lui meme ?
    JE ne sais pas si je suis tres clair.
    En tout cas merci pour tout.
    Amicalement
    LAurent

  15. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Non, Spinoza ne se réfute pas lui-même car chaque homme dispose d’une raison. Or la raison est un pouvoir de connaître selon des principes rationnels. Par exemple, c’est la raison qui nous permet de comprendre que nous ne sommes pas un empire dans un empire mais un être soumis à de multiples déterminations, déterminations nous inclinant à penser d’abord par idées inadéquates. D’où notre tendance à imaginer au lieu d’exercer notre esprit correctement. Mais une pensée d’imagination cesse de nous duper sitôt que nous avons conscience de sa faiblesse, de la même manière qu’une passion cesse d’être une passion sitôt que nous en formons une idée claire et distincte.
    C’est donc la compréhension rationnelle qui nous libère, cette capacité étant une possibilité de tout homme sitôt qu’il la met en œuvre et découvre que son conatus en est par là-même augmenté. (Joie opposable à tristesse)
    Bien à vous.

  16. Amadis dit :

    Bonjour,

    je tente d’approfondir la pensée spinoziste et pour cela ai lu l’Éthique et quelques commentaires d’auteurs sur le sujet, mais je n’arrive toujours pas à saisir l’enjeu de l’accessibilité à la sagesse selon Spinoza, car, de premier abord, il me semble contradictoire avec sa doctrine métaphysique de la causalité absolue, de la nécéssité. En effet, du moment où Spinoza affirme que le l’univers est tout entier ce qu’il est et rien d’autre (qu’il n’y a pas de possibles), bref que tout est déterminé, comment peut-il sembler affirmer que la sagesse (le troisième genre de connaissance — si j’ai bien compris il s’agit de la connaissance intuitive, donc non médiée, de notre essence, de notre degré de puissance, qui fonde notre rapport singulier et distinct) est accessible à tous, avec l’effort requis, ou encore dire inciter les gens à être courageux, ou, plus clairement, même si les mots ne sont pas de Spinoza lui-même, comment M. Misrahi peut-il affirmer ceci à propos du système spinoziste:  »parce que le spinozisme n’est pas un élitisme, tous peuvent accéder à sa pénitude »? De telles choses me semblent contradictoires, car dire que  »tous peuvent », ne présuppose pas l’existence de possibles? Ne devrait-on pas plutôt simplement constater que certaines personnes y ont accès et d’autres non, car elles ont été déterminées ainsi?

    Merci.

    J’aimerais également vous souligner mon admiration pour tout le travail que vous avez accompli et que vous continuer d’accomplir au quotidien non seulement en raison du nombre d’articles, mais également, et surtout, en raison de la qualité et de la variété de ceux-ci, et ce, pourrait-on dire, malgré l’ingratitude de certains commentaires.

  17. Simone MANON dit :

    Bonjour
    La sagesse est accessible à tous parce qu’elle est connaissance et vertu or « agir par vertu absolument n’est rien d’autre qu’agir d’après les lois de sa propre nature. Or nous sommes actifs dans la mesure seulement où nous comprenons. Donc agir par vertu n’est rien d’autre en nous qu’agir, vivre, conserver son être sous la conduite de la Raison, et cela d’après le principe qu’il faut chercher l’utile qui nous est propre » Ethique,IV, 24.
    Tout homme est un conatus, c’est-à-dire un effort pour persévérer dans son être. Tout homme a la capacité de se comprendre lui-même en tant qu’il est augmenté ou diminué par ce qui est extérieur à lui. Cette capacité n’est que sa propre puissance (ou perfection) en tant qu’elle découle de son essence. Mais l’esprit peut être déterminé à produire des idées inadéquates sous l’empire des passions (de l’action d’une cause extérieure à sa propre essence). D’où l’erreur et l’absence de vertu de tous ceux qui subissent la nécessité passionnelle au lieu de comprendre et d’agir selon la nécessité rationnelle. La plupart des hommes en effet n’agissent pas sous la conduite de la Raison. Ils vivent, pensent et agissent sous l’effet des passions.
    Reste que nul n’est déterminé à demeurer prisonnier d’une existence passionnelle car, en vertu des lois de notre nature, nous disposons du pouvoir de comprendre rationnellement. Certes cela demande une réforme de l’entendement et de la manière de vivre mais cet effort n’est rien d’autre que l’effort de persévérer dans notre être dans sa perfection.
    Le possible n’est pas distingué du réel chez Spinoza car il le définit comme tendance à exister. Le possible n’est pas ce qui n’est pas contradictoire comme chez Aristote, il est ce qui tend à exister (Ex: l’homme est désir, conatus, effort pour persévérer dans son être). La distinction entre le possible et le réel n’a pas de sens dans la pensée de Spinoza car tout ce qui est possible doit être tenu pour réel.
    Bien à vous.

  18. Augustin Frayard dit :

    Bonsoir Madame,

    Et tout d’abord merci infiniment pour ces cours si précieux.
    Vous écrivez « Agir sous l’empire des affects c’est subir », et expliquez qu’être sous l’emprise des passions c’est moins agir selon la nécessité de sa nature propre (être libre) qu’être contraint sous l’effet d’une cause extérieure (être aliéné). Pourtant, Jeanne Hersch, Pierre Zaoui également, nous expliquent qu’un sentiment très vif de liberté nous saisit quand il nous arrive d’agir sous l’effet d’une puissance qui nous dépasse et à laquelle nous ne pouvons résister. Zaoui explique qu’alors nous sentons intimement que nous ne pouvons pas faire autrement qu’obéir à cette force, mais que loin d’en souffrir, nous retirons de cette expérience (de cette coïncidence de liberté et de nécessité) une immense Joie –
    Seulement voilà, le commentateur prend pour exemples de ces nécessités intérieures des passions !! L’amour, le désir de vengeance, la rage de vaincre… Qu’en pensez-vous?
    Par avance merci.
    AF

  19. Simone MANON dit :

    Bonjour
    N’ayant pas sous les yeux les analyses auxquelles vous faîtes allusion, il n’est pas sûr que ma réponse soit pertinente.
    Ma première remarque consiste à souligner l’importance de ne pas confondre des problématiques hétérogènes. L’opposition liberté/contrainte chez Spinoza est limpide et n’est pas remise en cause par l’idée que vous exposez. Par exemple, pour Spinoza, la vérité a une force qui entraîne nécessairement la conviction. L’entendement qui comprend adéquatement s’exerce alors selon sa nécessité propre, ce qui n’empêche pas qu’il ne peut pas résister à la puissance de l’idée vraie et qu’il éprouve la joie de comprendre. (la nécessité n’est dons pas synonyme de contrainte dans le cas de la nécessité rationnelle)
    La liberté ne peut coïncider avec la nécessité que lorsque la force dont nous subissons l’empire est ce qui nous libère d’une aliénation première et nous reconduit à nous-même.
    C’est par exemple le cas pour notre rapport à la loi morale chez Kant. Dans l’expérience du devoir, j’éprouve une résistance à l’endroit de l’ordre et néanmoins je n’abolis pas ma liberté dans ma soumission à sa nécessité, je l’éprouve dans son étendue, et le sentiment positif de ma dignité.
    Par exemple encore dans l’expérience philosophique telle que la décrit le Socrate de Platon, les exigences de la raison s’imposent à nous dans leur caractère de transcendance et de nécessité de telle sorte que dans sa soumission à leur ordre l’esprit ne s’aliène pas mais affirme sa liberté avec la joie qui accompagne une telle expérience.
    Néanmoins il va de soi que ce ne peut être le cas avec les exemples que vous donnez, excepté dans l’amour si la chose aimée est ce qui élève notre âme et nous reconduit à nous-même. La rage de vaincre, le désir de vengeance sont des passions négatives. Je ne vois pas en quoi l’empire qu’elles exercent sur nous puisse jamais être synonyme de liberté.
    Bien à vous.

  20. Augustin Frayard dit :

    Merci Madame,
    Vos exemples sont très éclairants.
    Je crois que Pierre Zaoui a pris certaines libertés avec les textes. Il parle à propos de ces passions « d’une aliénation totale qui, perçue sous une autre perspective, peut devenir expérience de la liberté la plus concrète » (France Culture LNCC). Cette (fausse) liberté a beau s’accompagner d’une grande Joie (Il prend l’exemple d’Hernani), il me semble qu’elle reste illusoire et n’aurait donc que peu de valeur aux yeux de Spinoza … enfin je ne sais pas … je dois pousser plus loin mes lectures.
    Encore merci.
    AF

  21. Vidal Corone dit :

    quel beau fil et quel chouette site vous avez conçu, Madame.

    j’y retrouve un Spinoza aussi fidèle à Baruch que celui de Deleuze. Même si ce dernier chemine différemment, et au moyen d’un style et d’outils différents, je retrouve bien cette joyeuse mécanique, consciente d’être aussi cela : une mécanique, déterminée par des conditions internes, nécessaires donc, mais pas moins joyeuses.
    C’est ce dialogue entre nécessité et joie, ou entre mécanique et conscience que je souhaitais commenter un petit.
    En effet, on sent parfois dans les commentaires combien le couple nécessité-liberté heurte encore notre héritage confus : platonicien, judéo-chrétien, le tout frotté du libéralisme des Lumières.
    Vous rappelez pourtant bien que Dieu « ou la Nature » en tant que puissance immanente – et non transcendante – détermine tout et chaque chose en son sein. En termes plus physiques, ou biologiques, on pourrait dire qu’il n’y a rien en dehors de la Nature. Ce qui devrait être une évidence dans une perspective moderne et tout autant, spinoziste.
    Si tout est dans cette Nature, alors s’y trouvent et s’y meuvent aussi les pulsions, la raison, les sentiments, les consciences, l’énergie… comme agents ou conséquences, c’est selon, des différentes relations qui se font dans cette Nature.
    Dans ce sens-là où tout est contenu dans la Nature, tangible et intangible, que tout se cause mutuellement, y compris le désir, il n’y a vraiment plus aucune raison de refuser que tout soit nécessaire.
    Du coup cette résistance psychologique et culturelle qui fait prononcer cet affreux mot de « libre arbitre » – créé pour disculper un Dieu personnifié judéo-chrétien, de tout le mal, pour rapporter celui-ci seulement à l’Homme – du coup cette résistance est-elle le signe d’une survivance d’un espoir en la transcendance. Vous expliquez bien du reste que pour être déterminée notre action n’en est pas moins infléchissable et que pour être libre elle doit tendre à ne pas être le jouet des passions, mais viser la quiétude. Et Spinoza montre bien qu’il y a évidemment moins de liberté dans le désir d’une chose pourtant « non désirable en soi », qu’en l’harmonie et la cohérence avec la manière dont le monde coule et reflue.
    Le parallèle entre Spinoza et le taoïsme ou le non-dualisme indien est frappant à cet égard : même lucidité rationnelle, même constat froid des mécanismes toujours identiques du grand système de la vie. Même acceptation de ces mécanismes comme condition de la sérénité finale et de la vie bonne comme pratique. Très loin des mièvreries New age actuelles, on est face à une entreprise, d’une part de destruction de ce qui nous conditionne culturellement et psychologiquement, et d’autre part de compréhension – de préférence par la troisième forme de connaissance autant chez Spinoza que chez un Abhinavagupta, ou un Tchouang tseu – des mécanismes en jeu qui fondent conscience et vie. Les indiens et chinois diraient conscience et énergie.
    La liberté, c’est bien d’être délivré de ce qui nous rend moins vivant, désirs dirigés non adéquatement, et subjugation aux conditionnements évoqués plus haut. Reste la Nature en effet.
    Le trouble causé par l’équation liberté=nécessité, vient de ce que le télescopage des différentes veines de notre héritage occidental vise précisément à justifier la « volonté sur » comme le moyen de se libérer. On veut que l’exercice de la volonté individuelle sur un objet soit le signe et l’expression de la liberté. La volonté et sa mise en mouvement serait la liberté, précisément parce qu’elle permettrait d’échapper à la nécessité comprise comme « fatalité » (ce que relève l’un des commentaires).
    Parallèlement, la philosophie occidentale, surtout avec le libéralisme des lumières vont justifier et universaliser le commandement de l’ancien testament de régner et de soumettre la vie.
    On est me semble-t-il à l’exact opposé de la vision spinoziste de la vie dans le monde. Il est notable en même temps de réaliser dans quelles proportions les Lumières ont pu avoir le projet de réaliser la vision judéo-chrétienne. Je ne mets pas à part la prépondérance du sujet déjà largement contenu et promu dans la programmatique monothéiste occidentale.
    La liberté est d’abord une paix retrouvée. Une pacification d’avec le milieu dans lequel nous vivons, sive natura. Une acceptation de la Nature, ou du Cosmos pour faire du grec, sur lequel nous n’avons aucun choix. Sauf à le refuser et à commencer à avoir des problèmes.
    Une paix retrouvée et un désir réemployé à la pratique de ce milieu, débarrassée des croyances en tant que système de contrôle social, débarrassée des duperies névrotiques de papa-maman comme dirait Deleuze, auxquelles nous nous employons sans cesse, débarrassée d’un arrière-monde, et enfin mise à profit pour travailler à être là, à être ensemble, à goûter la conscience de la Conscience. Où enfin Dieu, l’âme etc, ne prennent pas de noms d’emprunts (inconscient, Etat, libido, mondialisation…) pour revenir par la fenêtre. Enfin libres…

  22. Simone MANON dit :

    Merci pour ce beau commentaire, très éclairant pour tous ceux qui ont des difficultés avec le spinozisme.
    Bien à vous.

  23. […] Hannah Arendt on Memory, the Elasticity of Time, and What Free Will Really Means. By Maria Popova. » Le désir comme puissance d’être. Spinoza. […]

  24. […] Sémiologie. Psychanalyse. Idées. Humanisme. Sociologie. Philosophie. Psychologie. » Le désir comme puissance d’être. Spinoza. […]

  25. Julien dit :

    Bonjour madame, j’ai un travail de philosophie à complèter sur le définition du désir chez Spinoza. Je dois définir le désir en me basant sur la puissance, l’éthique et l’essence. De plus, je dois aussi expliquant celà en justifiant la pensée et l’etendue. J’ai un peu de difficulté à comprendre le concept des explications de Spinoza dans l’ethique. Est-il possible pour vous de me l’expliquer s’il vout plaît. Merci beaucoup, Julien

  26. Simone MANON dit :

    Bonjour Julien
    Il me semble que de nombreux articles sur ce blog, et celui-ci en particulier, explicitent la conception spinoziste du désir.
    Le désir est l’essence de l’homme (#Platon)
    Il est l’effort pour persévérer dans son être, pour déployer son existence.
    La puissance d’exister peut se nier lorsque nous avons une idée inadéquate de notre désir. D’où l’expérience des passions tristes et les fausses morales qui condamnent le plaisir, le corps, les sens, les désirs.
    La raison ne veut rien contre la nature. https://www.philolog.fr/eloge-du-plaisir-spinoza/
    Bien à vous.

  27. aurélien ferenczi dit :

    Bonsoir, La première phrase ne risque-t-elle d’égarer les étudiants qui viennent de lire comme moi que le désir de connaissance est pour Platon le propre de l’homme? ou que le désir spirituel commence avec le désir charnel?

  28. Simone MANON dit :

    Bonsoir
    Je ne vois pas en quoi il y a matière à égarement dans ce propos pointant la distinction radicale entre la conception spinoziste du désir et la conception platonicienne. Pour Platon, le désir est l’expression d’un manque, un mixte d’être et de non être, pour Spinoza, il n’y a que de l’être. Le désir est déploiement d’une existence qui, s’il a l’idée adéquate de lui-même, affirme sa puissance en constituant tel ou tel objet comme désirable.
    Deux ontologies donc du désir qu’il convient de bien comprendre.
    Par exemple, pour l’un, c’est parce qu’il manque du savoir que l’homme le désire, pour l’autre, l’homme ne manque de rien, il désire le savoir parce qu’en visant cet objet, il affirme et augmente son être.
    Cf. https://www.philolog.fr/le-mythe-de-landrogyne-commentaire/
    Bien à vous.

  29. Jeanne dit :

    Bonjour madame,

    Merci pour ce très éclairant article !
    J’ai une question qui concerne l’usage des termes. Quand Spinoza dit « Le désir est l’essence de l’homme », par « désir », il entend bien quelque chose de tout à fait différent de « passion » ?
    Si j’ai bien compris, Spinoza invite à comprendre ses déterminismes pour suivre les désirs de son conatus, notre puissance d’exister, et donc nos désirs actifs, qui amènent le sentiment de joie. Nos désirs actifs s’opposent alors aux passions, qui elles ne sont pas « raisonnées » ?

    Merci pour votre attention.

  30. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Le désir est le conatus (l’effort pour persévérer dans son être) accompagné de la conscience de lui-même. Mais cette conscience peut être conscience adéquate de sa propre puissance d’exister ou conscience inadéquate. D’où la distinction spinoziste entre l’actif et le passif. Cf. « Notre esprit agit en certaines choses et pâtit en d’autres, à savoir, en tant qu’il a des idées adéquates, en cela nécessairement il agit en certaines choses, et, en tant qu’il a des idées inadéquates, en cela nécessairement il pâtit en d’autres. »
    Il y a du passif en nous parce que nous ne sommes pas « un empire dans un empire ». Nous subissons nécessairement l’action sur nous de causes extérieures qui nous déterminent à imaginer que certaines choses nous affectant sont bonnes pour nous alors qu’elles sont mauvaises.
    Mais chacun a le pouvoir de comprendre ses affects et de se libérer ainsi des affects passifs (la tristesse par exemple) pour cultiver les affects actifs (la joie). Dans un cas j’éprouve une diminution de ma puissance d’exister, dans l’autre j’expérimente le passage à une plus grande puissance d’exister.
    Voyez bien que l’opposition traditionnelle passion/raison n’a pas de sens chez Spinoza. Le salut passe par la compréhension des différences d’intensités affectives.
    Voyez mon message du 3 juin 2014.
    Bien à vous.

  31. Maxime dupont dit :

    Bonjour, je voulais savoir pourquoi : plus mon désir est puissant, meilleur je suis pour moi et autrui.
    Merci

  32. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Le désir ou le conatus se définit, chez Spinoza, comme puissance d’exister, d’affirmer son être, de persévérer dans l’existence. Mais ce conatus n’est pas seul au monde, il compose avec tous les éléments du réel dont certains conviennent, l’augmentent dans son déploiement, d’autres le contrarient ou le diminuent. Le désir affirmatif est toujours passage à une perfection plus grande et le vécu correspondant à cette expérience est la joie. Dans l’amitié, l’amour, la concorde, l’harmonie et la coopération sociale, la puissance d’agir de chacun compose avec celle des autres de manière positive sous la forme de passions joyeuses, alors que dans la haine, le conflit, la guerre la puissance d’agir des uns et des autres se limitent réciproquement faisant le lit des passions tristes.
    Ainsi ma puissance d’agir est d’autant plus grande que je vis en accord avec le monde et avec les autres.
    « si nous considérons notre esprit, notre entendement serait certes plus imparfait si l’esprit était seul et ne comprenait rien que lui-même. Beaucoup de choses existent donc hors de nous qui nous sont utiles et qu’il faut considérer pour cette raison. Parmi elles, on n’en peut trouver de meilleures que celles qui s’accordent tout à fait avec notre nature. En effet, si, par exemple, deux individus tout à fait de même nature sont unis l’un à l’autre, ils composent un individu deux fois plus puissants que chacun d’eux en particulier. A l’homme, rien n’est plus utile que l’homme ; les hommes, dis-je, ne peuvent rien souhaiter de supérieur pour conserver leur être que d’être tous d’accord en toutes choses, de façon que les esprits et les corps de tous composent pour ainsi dire un seul esprit et un seul corps, et qu’ils s’efforcent tous en même temps, autant qu’ils peuvent, de conserver leur être, et qu’ils cherchent tous en même temps ce qui est utile à tous » (scolie de la proposition 18, Ethique, IV).
    https://www.philolog.fr/eloge-du-plaisir-spinoza/
    Bien à vous.

  33. Romain dit :

    Madame,
    Merci pour ce blog remarquable, tant par l‘étendue de ses articles que par la profondeur de ses analyses, et qui invite véritablement chaque lecteur à réfléchir par lui-même.

    Concernant cet article, un détail du premier paragraphe a éveillé mon attention. Vous semblez y opposer le conatus spinoziste à la volonté de puissance nietzschéenne. Mais, si celle-ci est entendue comme « processus d’intensification de la puissance que l’on est » (Wotling, Vocabulaire de Nietzsche), comme un processus de maîtrise et de croissance, ne peut-on pas la rapprocher de cet effort pour persévérer dans son être qui définit le conatus ? Dans un cas comme dans l’autre, il semble y avoir l’idée d’affirmation de son être, qui se traduit par la recherche d’un accroissement de puissance. Peut-être n’y aurait-il alors qu’une différence de degré, le conatus étant davantage restreint à la conservation de ce qu’on est, alors que la volonté de puissance serait dépassement de soi, surabondance de force. Qu’en pensez-vous ? Pourriez-vous, je vous prie, préciser la nature de la relation qui existe selon vous entre conatus et volonté de puissance ?

  34. Simone MANON dit :

    Bonjour
    J’aurais pu me dispenser de cette allusion car elle implique des développements pour être étayée. Je vais donc la supprimer.
    Vous avez raison de souligner la parenté entre les deux idées mais le thème nietzschéen s’inscrit dans une configuration intellectuelle et existentielle très différente de celle du spinozisme.
    La volonté de puissance nietzschéenne est une puissance de métamorphoses, puissance des masques, puissance plastique, affirmation de la différence, jeu, plaisir, don, danse, surabondance de force, comme vous l’écrivez. Elle s’éclaire à la lumière de la révélation de l’éternel retour et du surhomme.
    Je devais avoir présent à l’esprit le chapitre 349 du Gai Savoir, lorsque j’ai écrit cet article.

    « Encore l’origine des Savants. – La volonté de se conserver est l’expression d’une situation désespérée, une restriction du véritable instinct vital, instinct qui vise à l’extension de la puissance et pour ce, met souvent en jeu et sacrifie l’ « autoconservation ». Si certains philosophes ont vu – s’ils n’ont pu s’empêcher de voir l’élément décisif de la nature humaine, dans ce qu’on appelle instinct de la conservation, – ainsi Spinoza, poitrinaire, – nous devons y trouver-un symptôme; c’est qu’ils étaient précisément en pleine détresse. Et si les sciences naturelles se sont de nos jours si fort compliquées de spinozisme (le darwinisme en donne l’exemple le plus récent et le plus grossier dans l’incroyable sectarisme de sa doctrine de la lutte pour la vie) cela tient très probablement à l’origine de la plupart de nos savants ; ils sont du « peuple » à cet égard; leurs ancêtres étaient de pauvres et petites gens qui avaient connu de trop près la difficulté de se tirer d’affaire. Tout le darwinisme britannique baigne dans un remugle anglais d’air confiné, de surpopulation, de misère, d’étroitesse. Mais lorsqu’on est naturaliste, on devrait savoir sortir de son recoin humain; et ce qui règne dans la nature ce n’est pas la disette, l’étroitesse, c’est l’excès, le gaspillage, une folie de gaspillage. La lutte pour la vie n’y est qu’une exception, une restriction momentanée du vouloir-vivre : l’enjeu des luttes, grandes et petites, y reste la prépondérance, l’accroissement, l’extension, la puissance, conformément à cette « volonté de puissance » qui est précisément le vouloir vivre »
    Bien à vous.

  35. Emma dit :

    Bonjour madame,

    Merci pour ce site très intéressant et remarquable.
    Après plusieurs lectures de Spinoza il y a un point qui reste flou pour moi. Le conatus est bien la persévérance de l’être en d’autre termes l’effort de préserver dans l’existence. Donc être affecté par l’affect de la joie permet d’augmenter son conatus il me semble. C’est-à-dire d’augmenter son existence ? Cependant si l’homme est affecté par le mauvais c’est à dire la tristesse peut on dire que cette homme existe moins puisque son conatus diminue ?
    Merci

  36. Simone MANON dit :

    Bonjour Emma
    La joie augmente notre puissance d’exister (= notre force d’exister, notre puissance d’agir), la tristesse la diminue. D’où le principe de sagesse que Spinoza tire de cette constatation. Il faut rechercher ce qui nous augmente, fuir ce qui nous diminue.
    Bien à vous

  37. Emma dit :

    Bonsoir,
    Merci pour votre réponse très claire qui m’a bien aidée.
    En revanche, quand Spinoza dit qu » il est nécessaire de participer à la nature divine » Veut-il dire qu’en étant plus joyeux on augmente notre puissance d’exister et donc comme l’homme est un attribut de Dieu participe à l’essence de Dieu ?( Je ne sais pas si c’est très claire)

    Merci.

  38. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Oui, on peut dire les choses ainsi.
    Voyez ce cours pour l’approfondissement de l’idée. https://www.philolog.fr/eloge-du-plaisir-spinoza/
    Bien à vous.

  39. Dominique dit :

    Bonjour Madame,
    Spinoza explique-t-il clairement dans son oeuvre pourquoi il faudrait donner plus de légitimité à la voix de la raison et en quoi les affects de l’homme causeraient sa servitude ?
    La tradition philosophique a souvent opposé ces deux mondes (affects et raison) et je me demande si ce philosophe se base sur cette tradition (en ne la remettant pas en question) ou s’il parvient à expliquer pourquoi nous devrions vivre sous la conduite de la raison.
    Bien à vous,

  40. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Non, Spinoza ne s’inscrit pas dans une tradition philosophique opposant l’affectivité à la rationalité. Au contraire, il ne les distingue pas radicalement, la rationalité étant une forme d’affectivité, mais une forme affranchie de sa dimension passionnelle.
    Parce que nous ne sommes pas « un empire dans un empire » nous ne cessons de subir l’action sur nous de ce qui est extérieur à nous. Comme tel, être affecté revient à subir, à être passif. D’où, en un premier sens, le thème de la servitude car être libre pour Spinoza revient à agir selon la nécessité de notre propre nature, non selon la nécessité d’une cause extérieure.
    Comme explicité dans ce cours, Spinoza fait du désir, du conatus (effort pour persévérer dans son être) l’essence de l’homme. « Le désir est l’essence même de l’homme, en tant qu’on la conçoit comme déterminée, par suite d’une quelconque affection d’elle-même, à faire quelque chose » Ethique, III, définition 1.
    L’affect se définit par la simultanéité d’une affection corporelle et de l’idée de cette affection, car le spinozisme est un monisme de la substance.
    L’esprit, selon la définition donnée dans la proposition 13 de Ethique,II, est l’idée du corps existant en acte, c’est-à-dire idée des affections du corps.
    Cependant, « L’esprit perçoit non seulement les affections du corps mais encore les idées de ces affections » (prop. 22, Ethique, II)
    En tant que tel, il forme des idées au sens où, écrit Spinoza, « Par idée, j’entends un concept de l’esprit que l’esprit forme parce qu’il est une chose pensante » Définition III, Ethique, II.
    S’il était seulement idée des affections du corps (= s’il se contentait de percevoir les affections), l’esprit ne s’exercerait jamais selon sa propre nature car sous l’action des causes externes, nous sommes déterminés à former des idées confuses. Nous imaginons au lieu de comprendre rationnellement les choses. Mais l’esprit n’est pas déterminé à s’exercer sous la forme de la seule imagination, il peut concevoir les idées de ses affections c’est-à-dire les penser selon sa nature propre. Dans ce cas, il n’est plus passif, il agit et il forme des idées adéquates.
    A partir de ces précisions, vous pouvez comprendre que nous ne pourrions rien sentir, ni penser si nous n’étions pas affectés. L’imagination, l’intellect, la raison sont des expressions déterminées de l’affect.
    Les affects augmentent ou diminuent la puissance d’agir du corps et corrélativement augmentent ou diminuent la puissance d’agir de l’esprit. L’augmentation ou le passage à une perfection plus grande s’expérimente dans l’affect de joie, la diminution dans l’affect de tristesse.
    Chacun a le pouvoir de comprendre de façon claire et distincte ses affects en en formant des idées adéquates. En comprenant rationnellement les choses, nous nous auto affectons de joie et nous cessons d’agir en étant déterminés par les causes externes. Nous devenons cause adéquate de nos affects, ceux-ci cessant d’être des passions pour être des actions.
    En ce sens la rationalité rend possible le passage d’une affectivité aliénée et triste à une affectivité active et joyeuse. En comprenant adéquatement notre utile propre, nous recherchons ce qui nous augmente, nous fuyons ce qui nous diminue. Autrement dit nous cessons d’agir sous l’empire des passions, pour agir selon notre nécessité propre, ce qui est la définition spinoziste de la liberté.

    Cf. : « Agir par vertu absolument n’est rien d’autre qu’agir d’après les lois de sa propre nature. Or nous sommes actifs dans la mesure seulement où nous comprenons. Donc agir par vertu n’est rien d’autre en nous qu’agir, vivre, conserver son être sous la conduite de la Raison, et cela d’après le principe qu’il faut chercher l’utile qui nous est propre » Ethique, IV, 24.

    Bien à vous.

  41. Camilia Chabane dit :

    Bonsoir,

    J’ai laissé un commentaire mais il n’apparait pas sur la page alors que ça fait déjà un moment.

  42. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Cela s’explique par le fait que je ne publie pas tous les messages.
    Bien à vous.

  43. Maggie dit :

    Bonjour Madame,

    En dépit de plusieurs lectures sur la question, il m’est toujours difficile de saisir les concepts spinozistes de Substance, de modes et d’attributs. Serait-il possible que vous les éclaircissiez ?

    En vous remerciant

  44. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Les trois notions sont définies à la première page de l’Ethique. Il suffit de s’en tenir à la définition que Spinoza donne:
    – « Par substance, j’entends ce qui est en soi et est conçu par soi, c’est-à-dire ce dont le concept n’a pas besoin du concept d’une autre chose pour être formé »
    Commentaire succinct donné ici: http://spinozaetnous.org/wiki/Substance
    – « Par attribut, j’entends ce que l’entendement perçoit de la substance comme constituant son essence »
    Commentaire ici: http://spinozaetnous.org/wiki/Attribut
    – « Par mode, j’entends les affections de la substance, autrement dit ce qui est en autre chose, par quoi il est aussi conçu »
    Commentaire ici: http://spinozaetnous.org/wiki/Mode

    Voyez aussi: https://www.philolog.fr/eloge-du-plaisir-spinoza/
    Bien à vous.

  45. Salomone Françoise dit :

    Bonjour Madame,
    La raison incapable de réprimer des affects qui dépassent de loin la puissance c’est à dire la vertu de l’homme, il y a besoin de menaces et de sanctions.(je résume une partie du scolie II partieIV)
    La joie ,que procure le fait d’agir par la raison, n’est elle pas un affect assez fort pour combattre ce besoin de craintes et de menaces, puisqu’elle est la voix vers la liberté de l’homme jusqu’à la béatitude ?
    Je sens là une contradiction confuse que je n’arrive pas a démêler pourriez vous m’aider?
    Avec mes remerciements, si ma question à un sens….

  46. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Il faut bien voir que peu d’hommes sont capables de sagesse c’est-à-dire de vivre sous la conduite de la raison. Voilà pourquoi sur le plan politique il convient d’envisager la régulation des passions par le moyen de croyances (le salut par la foi et non par la connaissance = fonction positive des religions) ou de sanctions (droit pénal).
    Ce qui ne signifie pas que la raison soit par principe impuissante. Néanmoins, chez Spinoza, on ne sort de l’affectivité passive (et donc vectrice de servitude) que par une affectivité active. Il n’oppose pas la rationalité à l’affectivité. C’est au cœur de notre vie affective que se joue la servitude ou la liberté, ou dans les termes de notre philosophe l’activité ou la passivité.
    Dans l’affect de tristesse, la puissance d’agir est diminuée, dans l’affect de joie, la puissance d’agir est augmentée et cette puissance est indistinctement celle du corps actif et de l’esprit dont l’activité consiste à comprendre adéquatement ce qui la réjouit.
    La compréhension rationnelle est donc elle-même cause d’une augmentation de son être, autrement dit de joie. En comprenant adéquatement nous nous auto-affectons de joie de telle sorte que plus nous comprenons plus nous aimons comprendre. Mais cette expérience ne peut guère être généralisée tant les hommes majoritairement se contentent de subir leurs passions et donc d’imaginer plutôt que de comprendre rationnellement.
    Cf. plus haut ma réponse à Dominique du 4 février 2017.
    NB: Je vous conseille la lecture du recueil d’articles coordonné par Christian Lazzari aux PUF: Spinoza. Puissance et impuissance de la raison.
    Bien à vous.

  47. françoise salomone dit :

    Merci beaucoup pour cet approfondissement.
    La question n’était pas posée que plus loin dans le texte je la trouvais absurde et ne croyais pas à une réponse, mais c’est très intéressant d’avoir une réponse même à une question improbable.
    merci encore pour le conseil de lecture

  48. francoise dit :

    Bonjour,
    nature naturante serait attribuée aux attributs et nature naturée aux modes
    Pourriez vous me donner un exemple ?
    y a t il passage de l’une à l’autre ?
    avec ou sans l’homme ?
    En vous remerciant

  49. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Tous les phénomènes (physiques et mentaux) qui constituent la Nature naturée sont des effets de la Nature naturante.
    Voyez ce résumé pour clarifier les choses: https://www.philolog.fr/eloge-du-plaisir-spinoza/
    Cf. Deleuze:  » La Nature dite naturante (comme substance et comme cause) et la Nature naturée (comme effet et comme mode) sont prises dans les liens d’une mutuelle immanence: d’une part , la cause reste en soi pour produire, d’autre part, l’effet ou le produit reste dans la cause (Eth., I, 29). Cette double condition permet de parler de la Nature en général, sans autre spécification. Le Naturalisme est ici ce qui vient remplir les trois formes de l’univocité: l’univocité des attributs, où les attributs sous la même forme constituent l’essence de Dieu comme Nature naturante et contiennent les essences des modes comme Nature naturée; l’univocité de la cause, où cause de toutes choses se dit de Dieu comme genèse de la Nature naturée, au même sens que cause de soi, comme généalogie de la Nature naturante; l’univocité de modalité, où le nécessaire qualifie aussi bien l’ordre de la Nature naturée que l’organisation de la Nature naturante. etc.) Spinoza, Puf, 1970, p.78.79.
    Bien à vous.

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