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La technique est-elle un instrument de libération ou d'asservissement?


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Intoduction :

  La question est de savoir ce qu’il en est de la technique dans l’existence réelle des hommes. Il faut bien avouer que l’observation des faits invite au sens de l’ambiguïté.

 

   En effet les hommes s’émerveillent de leurs prouesses techniques. Ils savent bien qu’en l’absence d’outils, de machines, de savoir-faire efficaces, ils sont condamnés à subir la dure loi de la matière non domestiquée : famines, maladies, menaces de tous ordres. Ils n’ignorent pas que seule la compétence technicienne permet de résoudre les problèmes pratiques et de promouvoir des conditions d’existence moins dures où l’humanité peut se donner des fins propres à sa nature spirituelle. Les femmes par exemple savent qu’elles doivent leur libération aux instruments ménagers et les esclaves aux machines ayant rendu leurs forces de travail moins rentables.

 

  Mais parallèlement la mécanisation du travail, la substitution de la machine au geste humain et à l’outil a souvent déshumanisé le travail. Si dans la civilisation artisanale le travailleur était encore l’auteur d’une oeuvre (sens étymologique du mot ouvrier) qu’il produisait dans des opérations portant la marque de son habileté manuelle et à ce titre épanouissantes, ce n’est plus le cas dans la civilisation industrielle. Avec l’invention de machines capables, non seulement de suppléer la force humaine mais aussi le geste humain, avec la mécanisation et la rationalisation du processus de production l’ouvrier fait l’expérience de l’aliénation. Il se sent dépossédé de son humanité lorsque la machine le prive de son travail ou lorsqu’il est réduit dans l’atelier ou dans l’usine à n’être plus qu’un « appendice de la machine » (Marx). L’invention technique devient ici, comme l’a montré Charlie Chaplin dans « les temps modernes » facteur d’asservissement. Cette face sombre a toutefois un endroit plus glorieux. La technique permet de produire plus avec moins d’efforts humains et  le monde qu’elle invente fait surgir de nouveaux métiers requérant davantage de compétences de la part de ceux qui doivent manipuler les machines, les concevoir, les entretenir ou les réparer.

 

  Le citoyen de même assiste perplexe à la prolifération de certaines techniques dont l’apparition semble résulter d’un processus de développement autonome et anarchique. Nulle demande préalable ne préside à leur mise au point, nulle réflexion sur leurs fins n’en contrôle la dissémination.

  L’homme contemporain a ainsi le sentiment qu’il a perdu le contrôle de la sphère des moyens. Comme il l’avoue « on n’arrête pas le progrès » mais il lui arrive de douter qu’il s’agisse d’un progrès surtout lorsqu’il observe que ce processus exacerbe l’ingéniosité de certains (ingénieurs, concepteurs) au moment même où il l’altère pour le plus grand nombre. Désormais, les machines agglutinant infiniment plus d’intelligence que ceux qui les manipulent, ceux-ci sont dispensés du développement de leurs aptitudes. Bref l’homme contemporain se demande légitimement si le développement technique a encore un sens humaniste. Est-il bien au service des fins supérieures de l’humanité ? (La liberté universelle, la paix, la cité éthique….) N’est-il pas devenu à lui-même sa propre fin avec tous les effets pervers induits par le développement technique en particulier la pollution, la destruction des équilibres naturels etc.

 

  Et comment comprendre cette autonomisation de la technique ? Est-elle l’indice d’une subversion de l’essence de la technique comme le veut la conception humaniste qui voit dans la technique un moyen au service de fins dont la détermination relève de la seule compétence morale et politique ou bien est-elle l’expression éloquente de la véritable essence de la technique qui comme l’affirme Heidegger «  n’est rien de technique ». L’essence de la technique est métaphysique. Elle est une forme de dévoilement de l’Etre comme ce qui doit être exploité, dominé, arraisonné (c’est-à-dire mis à la raison). Si tel est le cas ce qui est au principe de la technique s’appelle la volonté de puissance.

 

  Alors, qu’est-ce que la technique ? En quel sens est-elle un instrument de libération et s’il lui arrive d’être un facteur de servitude qu’est-ce qui est en cause ? Est-ce l’essence de la technique ou son développement historique ? Est-ce la technique ou les usages qui en sont faits ?     

 

  NB : Pour le développement voir les cours précédents.