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 Au cœur d'un paysage qui est à soi seul un hymne à la création, l'abbaye de Hautecombe en Savoie nous offre un moment de grâce.
  
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  Il ne faut absolument pas manquer cette exposition des photographies de la Pietà de Michel-Ange prises par Robert Hupka lors de la foire de New York 1964-65. La seule et unique fois où la sculpture quitta son lieu consacré nous vaut un ensemble de clichés inestimables dont l'intérêt ne tient pas au seul talent de ce photographe amateur. Certes il est grand et la réussite technique n'est pas pour rien dans la puissance d'émotion que dégagent ces cent cinquante photos. Mais elle ne serait rien sans le souffle qui les traverse et mêle dans un même émerveillement l'œuvre du génie de la Renaissance et celle de son admirateur.

   La force de ces photos est de rendre sensible une double ferveur, celle de Michel-Ange pour la mère du sauveur et celle de Robert Hupka pour le chef d'œuvre qui en témoigne. Ce dernier l'avoue dans le texte qu'on peut lire dans le catalogue : « Cette expérience ne saurait être décrite par des mots, je me trouvais en présence du mystère de la vraie grandeur. [...] Et ainsi, tandis que je consacrais d'innombrables heures à ce travail de photographie, la statue devint un mystère toujours plus grand de beauté et de foi et je fus frappé par l'idée que le chef-d'œuvre de Michel-Ange n'avait jamais été vraiment vu dans toute sa grandeur, si ce n'est par un petit nombre de privilégiés ». Arstella édition, p.85.    Rien n'est plus vrai que ce constat. Je croyais avoir vu la Pietà à la basilique St Pierre de Rome. Je me souviens encore de mon éblouissement à l'époque, pourtant les photographies de Robert Hupka me donnent l'impression de la voir pour la première fois. Il sait capter la grâce de ce poème de marbre qu'il arrache à la matérialité de la terre pour en faire un pur chant de l'âme. Son grand art est de porter à la lumière ce qui est inscrit dans la matière, lui donne sa vie mais ne lui appartient pas. Car ni la  douceur divine du visage de la Vierge, ni la surnaturalité de celle du rédempteur ne sont pleinement de ce monde. N'ouvre pas les cieux qui veut mais qui peut. Si le génie de Michel-Ange est de ceux-là, le talent de notre photographe est de le montrer avec une vénération comparable à celle qui a dû inspirer le ciseau du sculpteur.
   L'invisible aussi a des conditions de visibilité et il faut peut-être soustraire l'œil et l'oreille à leurs sollicitations quotidiennes pour les rendre disponibles à la traversée des apparences. Cette exposition s'y emploie avec bonheur. Elle trace la frontière entre le sacré et le profane, deux dimensions de l'expérience humaine qui communiquent sans doute mais demeurent hétérogènes. Or ni la ferveur du sculpteur, ni celle du photographe n'appartiennent à l'ordre profane. Dans les deux cas, on a affaire à quelque chose qui est de l'ordre de la révélation, et chacun sait bien qu'une authentique révélation est une forme de pentecôte. Il fallait donc tracer la frontière entre les ordres, rompre l'homogénéité de l'espace et la continuité du temps.
   D'où une mise en scène séduisante par sa simplicité et son efficacité. Encore ébloui par la lumière estivale on pénètre dans un espace obscur où la lumière arrache à l'ombre chaque image donnant une présence quasi mystique aux visages de Marie et du Christ et même à chaque détail de la statue. Et comme si nous avions rendez-vous avec l'œuvre d'art totale, le chant grégorien donne au lieu la sacralité d'une chapelle.

 

 

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  L'effet est immédiat. Impossible de ne pas se sentir transporté par ce « je ne sais quoi » qui émane du visage de la Vierge, décliné sous de multiples angles, chacun s'augmentant de tous les autres. On sent que le photographe s'obstine à immobiliser le mouvement de son âme et que seule la reprise toujours recommencée lui donne, sous forme fugace, l'impression d'y parvenir. Jeu d'ombre et de lumière... Comment faire voir cet amour infini, cette douleur apaisée de la mère confiante dans la résurrection de son fils ? Elle nous offre son sacrifice comme une victoire secrète, celle de l'accomplissement de l'Annonciation. Ce n'est pas un vaincu qu'elle tient dans se bras, c'est le rédempteur du péché du monde.

   Pietà : « pitié, compassion, douleur » rappelle le texte du catalogue, mais aussi « loyauté absolue, amour profond que ni la vie ni la mort ne peuvent détruire ».

   A cette foi de la mère répond le visage magnifié du Christ. Lui aussi est auréolé de la main de Dieu. Les yeux fermés sur la contemplation du Père, il respire la paix d'une humanité sauvée. Tout son être irradie d'une lumière intérieure, lumière surnaturelle, celle de l'homme fait à l'image de dieu, rendu à la vérité de lui-même dans le creuset de la souffrance. Il promet une seconde naissance et comme la Vénus de Botticelli, il semble prêt à s'arracher à la coquille maternelle pour célébrer le triomphe de la vie sur la mort. 

 
 
   

    

 

   La photographie dont je cherche à rendre compte par ce propos est proprement stupéfiante et si la panne d'un projecteur a été l'occasion de cette prise de vue, ne croyons pas que le hasard y soit pour quelque chose. Il fallait voir le Christ sous l'angle des cieux car en lui se recueille la vérité de la Pietà. Appelons-la le mystère de l'aube, celle de l'humanité rénovée par la flamme de l'esprit. Est-ce de l'Esprit saint qu'il s'agit, comme l'enseigne le christianisme? Je ne sais pas, en revanche je suis sûre que le sens du divin est la marque la plus essentielle de l'esprit humain.

   Du grand art donc. Ne manquez pas ce rendez-vous exceptionnel.      
 
 

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7 Réponses à “La Pietà de Michel-Ange en gloire. Robert Hupka à l’abbaye de Hautecombe.”

  1. Mercotte dit :

    merci de me le rappeler , les échos sont unanimes, à ne pas manquer et tu en parles avec une telle conviction qu’il me faut absolument trouver un moment…. Promis !

  2. louart dit :

    ce serais bien que vous mettiez les dates de creation des statues de michel-ange

  3. Simone MANON dit :

    Vous pouvez trouver ce genre d’information partout. Mais il est vrai que d’ordinaire j’indique le lieu où l’on peut admirer l’oeuvre et sa date de création. Pour en prendre connaissance, il faut positionner la souris sur l’image.

  4. ptrem dit :

    J’ai lu avec attention votre texte, et vous avez sû exprimer votre émotion, au point que je la partage et beaucoup d’autres j’espère; ah, si l’on pouvait comme vous, philosophe qui vit la philosophie, transmettre et témoigner de l’ expérience humaine de notre temps, et protéger, valoriser, les héritages légués par nos ancêtres, aux générations futures.
    Marquer par l’écriture, le ciseau du sculpteur et l’image du peintre, ce qui: est, fut et sera.
    Je ne peux expliciter ces trois verbes en quelques minutes par manque d’instruction, et ne demande même pas l’approbation par le modérateur et donc la publication.
    Car je doute de la pertinence de mon commentaire.
    Quoique on ne sait jamais.Toute critique est la bienvenue.

  5. Simone MANON dit :

    Pourquoi vous voulez-vous que l’expression d’une émotion et l’aveu d’une nostalgie s’exposent à la critique?
    Si je ne publie pas vos commentaires précédents c’est que vos propos sont sans rapport avec les cours dont il est question et que vous croyez qu’il suffit de détourner des passages de wikipédia pour dire quelque chose de sensé.
    Etre cultivé, disait Alain, c’est en chaque chose remonter à la source et boire dans le creux de sa main. Cela signifie qu’on ne maîtrise que les auteurs qu’on a lus. Il faut donc absolument éviter de parler de ce que l’on ignore. De ce point de vue l’internet est une véritable catastrophe.
    Ce n’est pas parce que l’on a peu d’instruction que l’on ne peut pas réfléchir par soi-même mais il faut le faire modestement, à partir de son expérience et de ses propres lectures.

  6. ptrem dit :

    je vous remercie pour votre réponse;il est tard et j’étudierai vos conseils à tête reposée.

  7. ptrem dit :

    a propos de votre phrase, en fin de texte et qui conforte mes idées:
    « Je ne sais pas, en revanche je suis sûre que le sens du divin est la marque la plus essentielle de l’esprit humain ».Fin de citation.
    Je vais lire avec attention: l’enseignement du fait religieux dans l’école laïque, et rapport de mission de Régis Debray, Février 2002.
    Et dans votre blog: Chapitre X la religion, ainsi que « Alain »
    Merci

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