Flux pour
Articles
Commentaires

 

 

   Comme elle semble lointaine l’époque où l’idéal laïque était un idéal vivant !

   Ce n'est pas l'exorcisme de la sidération du 7 janvier 2015 qui m'invite à penser le contraire. Aussi lorsque je suis tombée sur ce texte dans lequel G. Guy-Grand  restitue le sens de la foi laïque je me suis dit qu'il serait judicieux de le faire lire, comme s'il fallait  bien mesurer la distance nous séparant des républicains d’antan avant d’examiner ce qui a bien pu se produire en un siècle pour que la laïcité soit désormais devenue une institution désenchantée, menacée, si peu précieuse aux yeux de ceux qui ont la chance d’en jouir qu’on ne sent pas dans notre société une volonté ferme et courageuse de la défendre.

 

 

  « Reconnaissons pourtant, si l'on va au fond de ces idées de neutralité et de laïcité, qu'elles ont une portée plus profonde que l'idée d'une protection légitime de l'enfant, du citoyen et de l‘Etat contre la domination séculaire de l'Eglise; elles sont grosses implicitement de toute une philosophie. Cette philosophie dépasse le positivisme de stricte observance tel que l'entendait Auguste Comte; elle l'élargit jusqu'à une nouvelle métaphysique, car toute doctrine vraiment grande suppose une métaphysique. Cette doctrine, c'est essentiellement un grand acte de confiance dans le pouvoir de l'homme de se sauver lui-même, d'organiser sa politique, son économie, sa morale en dehors de tout appel au surnaturel, par l'action de sa raison disciplinant ses aspirations vers la justice et la bonté. A cette hauteur, la philosophie de la république, si l'on peut donner son sens plein à un mot dont l'usage est généralement plus restreint, c’est l’humanisme, c’est-à-dire le plein épanouissement de toutes les puissances de l'homme, sous le contrôle de la plus humaine des facultés, la raison. Confiance qui n'est pas aveugle, qui n'ignore rien des tares ancestrales ni des survivances animales, mais qui fait crédit au génie humain pour se purifier toujours davantage de ces survivances et affirmer progressivement la victoire de l'esprit sur la nature brute. Et l'on sent bien qu'ici est le choix suprême. Beaucoup, même parmi les républicains, ne croient pas que soit possible le salut de l'homme et des sociétés sans le recours à la puissance surnaturelle qui les enveloppe et les dépasse. Ils n'en ont pas moins droit de cité dans un Etat qui ne légifère que pour l'ordre politique et respecte le mystère métaphysique de chaque personne. Mais l'originalité de la IIIe République française, entre toutes les nations, est d'avoir affirmé, par ses institutions, que l'homme peut, par lui-même, se sauver. Cette croyance explique !e soin jaloux avec lequel ces hommes d'Etat veillent sur l'idée de laïcité; elle les pousse à pénétrer de cette idée même son expansion lointaine : à côté des établissements religieux, et sans manquer aux lois de la tolérance et de l'amitié, la Mission laïque française veut faire pour les indigènes ce que Ferry a fait pour les citoyens de la métropole. Et l'on peut trouver que c'est orgueil, présomption, sacrilège. Peut-être. En tout cas, comme le disait Socrate de l'immortalité de l'âme, beau risque à courir. Cette victoire de l’homme sur l’homme, cette confiance en la raison exaltée par la justice et corrigée par l’expérience, c’est tout le risque républicain… »

   Guy-Grand. Au seuil de la IVe République : réflexion sur la mystique et l’école républicaine. Paris, 1946, p. 168. Cité par Claude Nicolet in L’idée républicaine en France (1789-1924), Tel-Gallimard, 1994, p. 501.502.

Partager :

Pin It! Share on LinkedIn

5 Réponses à “La Mission laïque: un beau risque à courir. G. Guy-Grand.”

  1. […] » Le monde d’hier. Souvenirs d’un européen. Stefan Zweig. » Le journaliste et l’assassin. Janet Malcom. « Le journaliste qui n’est ni trop bête ni trop imbu de lui-même pour regarder les choses en face le sait bien : ce qu’il fait est moralement indéfendable. Il est tel l’escroc qui se nourrit de la vanité des autres, de leur ignorance ou de leur solitude ; il gagne leur confiance et les trahit sans remords. » La Mission laïque: un beau risque à courir. G. Guy-Grand. […]

  2. Courivaud dit :

    Bonjour madame
    « Mais l’originalité de la IIIe République française, entre toutes les nations, est d’avoir affirmé, par ses institutions, que l’homme peut, par lui-même, se sauver. Cette croyance explique !e soin jaloux avec lequel ces hommes d’Etat veillent sur l’idée de laïcité; elle les pousse à pénétrer de cette idée même son expansion lointaine : à côté des établissements religieux, et sans manquer aux lois de la tolérance et de l’amitié »
    J ai un peu de mal avec cette phrase.
    Je pense que l auteur se trompe sur ce qu est la laïcité! La Laicite N’est pas une religion « républicaine et séculaire » permettant à l homme de trouver loin de l églises de France un salut citoyen.
    Le rôle oublié de La Laicite c est d assurer la neutralité de l état sur les questions religieuses et non pas comme le dit si bien Pierre manent de neutraliser la religion dans la vie civique et l espace commun.

    Simple réflexion en passant
    Cordialement

  3. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Sans vouloir vous offenser, il me semble que c’est vous qui comprenez mal l’idée de laïcité dont notre auteur explicite le présupposé métaphysique. Il consiste à poser que l’homme peut par le déploiement de notre raison commune organiser l’espace public et faire son salut sans se démettre au profit d’une puissance surnaturelle. Chacun, en tant que personne privée, est libre de faire allégeance à une autre autorité que la Raison (principe d’autonomie possible, de lucidité, de critique des superstitions, et de dépassement des clôtures égocentriques et ethnocentriques en chacun de nous) mais cette allégeance n’a pas à s’exhiber avec complaisance dans l’espace public.
    Oui la laïcité est le principe de la neutralité religieuse de l’Etat, non celui de la négation des religions dans la vie civique. Ce qui n’a rien de neutre dans l’absolu. C’est un choix de valeur politique et spirituel. D’où la protection des cultes, la garantie juridique de la liberté de croyance mais cela n’autorise pas les croyants à marquer l’espace public en dehors de l’enceinte des lieux de culte de leurs convictions surtout lorsque celles-ci font offense aux principes républicains. Ce qui est le cas avec cette façon pour le moins pathétique d’emprisonner le corps des femmes dans des voiles, des vêtements censés masquer leur impureté et afficher leur inégalité avec les hommes. Et ne me parlez pas de la liberté des femmes en la matière. La servitude ne cesse pas d’être une servitude sous prétexte qu’elle est volontaire. Ce n’est pas sans mélancolie que je constate le fourvoiement des féministes, d’une partie de la gauche, de tous les bien-pensants dans la justification de toutes les régressions contemporaines.
    Bien à vous.

  4. Courivaud dit :

    Bonsoir madame
    Merci pour votre réponse, mais
    Permettez moi de vous répondre par ces quelques réflexions glané s au cours de mes nombreuses lectures.
    Qu’est-ce qu’un espace public?
    Lorsqu’une religion ne cherche plus à légitimer l’action politique, lorsqu’elle ne dit plus le droit, bref lorsqu’elle ne s’ingère pas dans les affaires politiques de l’Etat, elle a sa place dans l’espace public, il me semble !
    Le malentendu le plus courant provient de ce que certaines personnes pensent que la reli- gion, relevant de la vie privée, ne doit pas se montrer dans l’espace public.
    Mais ce malentendu découle d’une définition erronée de l’espace public .
    l’espace public n’est pas un lieu physique; il est d’abord un cadre de vie citoyen, lié à un concept politico-juridique : la sphère privée fondée sur la conscience individuelle. L’espace public est l’arène sociale dans laquelle un individu vit sa vie privée sous le regard public des autres individus. Il est peuplé de citoyens athées, agnostiques, catholiques, juifs, musul- mans, etc., et non d’individus désincarnés qui n’auraient ni histoire ni attaches personnelles ou qui seraient dépouillés de leurs identités sociales et convictions religieuses. Si dans l’espace public, un athée doit cacher son athéisme, un chrétien ou un juif ou un musulman… ses convictions religieuses, c’est qu’il n’y a pas d’espace public. On est dans l’Afghanistan, on est dans l’Espagne de l’Inquisition, ou l’Europe du Moyen Age. Dans l’espace public, l’individu se présente comme juif, comme musulman, etc. et il est accepté dans sa différence qui est la marque de son universalité. Car, comme l’écrit Hannah Arendt, l’homme n’existe pas, il existe des hommes.
    l’homme abstrait, laïque et désincarnée ( l homme universel) est un danger pour les hommes à qui est refusée la différence religieuse, culturelle, voire linguistique. L’universalité n’est pas la ressemblance.
    Si l’on doit se cacher pour vivre ses convictions personnelles, si l’on doit vivre sa croyance religieuse – pour ceux qui en ont – dans la clandestinité, c’est qu’il n’y a pas d’espace public.
    La laïcité désincarnée n’est certes pas l’inquisition, mais Il y a un risque de déra- page vers une laïcité intolérante, qui se donne des idoles, encensant les déesses Nation et République dans un rituel religieux, et qui sacrifie des victimes expiatoires accusées de porter atteinte à la pureté de l’idéal de la nouvelle religion séculière. Finalement, ce qui fait courir un danger mortel à l’espace public et aux libertés individuelles sur lesquelles il repose, ce n’est pas la religion, mais l’intolérance religieuse dont l’homme n’arrive pas à se débarrasser, même quand il est convaincu d’être laïc, et même lorsqu’il vit dans une société sécularisée.

    Il me semble important de rappeler que la liberté de toutes les religions d’exister dans l’espace public est un des fondements de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat de 1905 en France.

    « Chacun, en tant que personne privée, est libre de faire allégeance à une autre autorité que la Raison (principe d’autonomie possible, de lucidité, de critique des superstitions, et de dépassement des clôtures égocentriques et ethnocentriques en chacun de nous) mais cette allégeance n’a pas à s’exhiber avec complaisance dans l’espace public. »
    La raison!!
    La fameuse loi de 1905 (en France) est l’objet d’un contresens absolu depuis l’affaire du foulard. On lui fait dire qu’elle désapprouverait les religions, et même qu’elle lutterait contre elles, au nom de la « raison ». Dans cet argument, la raison apparaît comme un synonyme caché de l’athéisme. Seul l’athéisme serait « raisonnable », et si on veut obéir à la raison, on devient forcément athée. Cette conception voudrait créer une hiérarchie entre l’athéisme et les autres croyances ; et elle aboutit, on le voit en France depuis une dizaine d’années, à plaider pour la transformation sournoise de l’athéisme en religion d’Etat. Cette conception de la nécessité que tout le monde croit en la même chose date des Lumières (XVIIIe siècle), où on devait défendre l’athéisme contre l’absolutisme du pouvoir royal qui obligeait tout le monde à être catholique. Ceux qui ne l’étaient pas étaient persécutés et demandaient donc la liberté de ne pas croire. C’est pour cette raison qu’ils s’appelaient « libres-penseurs ». Je fais un raccourcis un peu comme vous.

    Avec vous lu le dernier livre de Pierre manent( auteur que vous appréciez) « situation de France  »
    Quand pensez vous …
    Bien à vous

  5. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Permettez que je ne polémique pas.
    Il me faudrait relever
    -vos naïvetés. C’est précisément parce que l’islamisme politique cherche à s’imposer dans sa dimension politique qu’il faut lui opposer l’idéal républicain. Votre premier propos n’est donc guère recevable.
    -Votre mauvaise foi. La République n’impose à personne de se cacher pour vivre ses croyances. En tant qu’il est le lieu du débat, l’espace public républicain est ouvert à la liberté d’expression. Mais sous la pression de ceux qui cherchent à le détruire, cette liberté est aujourd’hui sérieusement remise en cause. Le politiquement correct, la terreur exercée par les thuriféraires d’une reprise en main religieuse imposent une autocensure chez de nombreux intellectuels. https://www.philolog.fr/laicite-une-institution-desenchantee/#more-4288
    -Votre confusion. Seuls ceux qui ignorent l’esprit de la laïcité peuvent prétendre qu’elle oppose la raison aux religions, que seul l’athéisme serait raisonnable, qu’il doit être institué en religion d’Etat!!! Je veux bien discuter des idées, non des fantasmes. https://www.philolog.fr/quest-ce-que-la-laicite/
    -Quant au livre de Pierre Manent, il est présenté sur ce blog. https://www.philolog.fr/pierre-manent-situation-de-la-france/#more-4537
    Bien à vous.

Laisser un commentaire