La conscience est un pouvoir de représentation. « Avoir conscience qu’il y a une personne dans la pièce » ; « être conscient de ma joie » signifie que j’ai la connaissance d’une présence dans l’espace ou de mon état moral. Je m’en aperçois ; je me les représente. La conscience est une expérience de présence à soi, aux autres et aux choses enveloppant une connaissance d’elle-même. L’étymologie en témoigne. Le mot est formé de science et de cum (avec). La conscience est un savoir accompagnant ma pensée, mes actions, mon être au monde.
Etrange pouvoir que ce pouvoir de représentation. Car qu’est-ce qui le rend possible ? Prenons avec Alain, l’exemple du dormeur. Il est en situation d’inconscience. Il n’a plus conscience qu’il y a un monde et qu’il y est présent. Il fait partie d’un ensemble dont il ne se distingue pas. Sa condition se caractérise par l’absence de toute forme d’écart entre lui et le monde, entre lui et lui-même. Aussi est-il immergé dans le monde à la manière des choses, sous une forme massive et opaque. Maintenant efforçons-nous de saisir le moment du retour à la conscience. Le dormeur se réveille, il rompt la totalité dans laquelle il était englué, il se sépare de lui-même et du monde, et cette opération de division, de séparation lui permet de se donner la représentation de sa chambre, de son lit, de son corps allongé dans son lit, de son désir de dormir encore un peu.
« Dans le sommeil, je suis tout mais je n’en sais rien. La conscience suppose réflexion et division. La conscience n’est pas immédiate. Je pense et puis je pense que je pense, par quoi je distingue Sujet et Objet, Moi et le monde, Moi et ma sensation, Moi et mon sentiment, Moi et mon idée » Alain. Manuscrits inédits 1928.
La conscience est ce par quoi il peut y avoir un sujet qui se représente et un objet représenté. Par elle s’opère la scission Sujet/ Objet. Le sujet doué de conscience se pose comme un sujet, un Je, en face d’objets. Il n’est pas dans le monde (chose parmi les choses) il fait face au monde et tout ce qui constitue ce monde : moi, autrui, les choses se met à exister comme un objet de représentation.
Il s’ensuit que :
- l’immédiat échappe à l’expérience humaine. Dès lors que s’opère la scission sujet-objet, la chose est à distance et médiatisée par une représentation. Elle est visée par la conscience qui essaie de se l’approprier symboliquement à travers des signes. La faculté symbolique est substantiellement liée au fait de conscience.
- la temporalisation est une dimension fondamentale de notre expérience. A chaque instant présent j’ai conscience de moi-même mais la division que la conscience introduit en moi fait retomber au passé tout ce que je ne suis déjà plus et projette dans l’avenir ce que je ne suis pas encore. La conscience est mémoire et projet.
- le monde est jugé. Se représenter ne consiste jamais à se donner de manière neutre le spectacle de quoi que ce soit. Avec la conscience il y a toujours une reprise critique de ce qui est. Le monde est dévoilé en fonction de valeurs esthétiques, morales, intellectuelles etc. J’ai conscience de ce que j’écris et je juge que c’est vrai ou c’est faux, j’ai conscience de ta présence en face de moi, et je me dis que tu es beau aujourd’hui, j’ai conscience de la décision qui vient d’être prise politiquement et je juge que c’est juste ou injuste. « La conscience est toujours implicitement morale. Et l’immoralité consiste toujours à ne point vouloir penser qu’on pense et à ajourner le jugement intérieur » Alain Définitions.
Avouons qu’il y a dans le fait de conscience un mystère. Comment ce morceau de matière que je suis peut-il sortir de lui, se tenir à distance d’une réalité qu’il est aussi, pour se mettre à exister dans le double statut de sujet de la représentation et d’objet représenté ?
Méditer le fait de conscience revient ainsi à méditer notre expérience la plus familière et pourtant la plus étonnante.
Les questions que je vais affronter dans ce chapitre sont les suivantes :
- De toute évidence, la conscience confère à l’existence humaine des caractéristiques spécifiques. Lesquelles ?
- Comment rendre intelligible le fait de conscience ? La conscience est-elle un être, une substance comme l’analyse Descartes ou bien est-elle un acte, une intentionnalité comme la décrivent les phénoménologues ? (Husserl, Merleau-Ponty)
- Comment penser l’expérience humaine du corps ? Faut-il dire que j’ai un corps ou que je suis mon corps, que le corps est un corps sujet ou un corps objet ? Est-il possible de sortir de l’ambiguïté qui fait que je suis mon corps tout en l’ayant ?
- La conscience est-elle transparente à elle-même comme l’analyse Descartes ou bien faut-il avec Freud soupçonner qu’il y a dans notre expérience psychique, une part d’ombre récusant le projet moral d’une souveraineté exigible de la conscience ?
- Dire Je, Moi, revient à présupposer une unité et une identité personnelle. Qu’en est-il de cette prétention ? Qu’est-ce que l’identité ? Une donnée ou une construction ? Une réalité ou une fiction ? Un être ou un devoir-être ?
BIBLIOGRAPHIE:
Descartes: Discours de la méthode.
Méditations métaphysiques.
Nietzsche: Le gai savoir.
Bergson: L’énergie spirituelle.
Freud: Essais de psychanalyse.
Nouvelles conférences de psychanalyse.
Métapsychologie.
Alain: Eléments de philosophie.
Sartre: L’Etre et le Néant.
Merleau-Ponty: Sens et non-sens.
L’oeil et l’esprit