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Husserl. La crise de l’Europe ou l’aliénation des exigences de la Raison.

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        « Aucune civilisation n’est détruite du dehors sans s’être tout d’abord ruinée elle-même, aucun empire n’est conquis de l’extérieur, qu’il ne se soit préalablement suicidé. Et une société, une civilisation ne se détruisent de leurs propres mains que quand elles ont cessé de comprendre leur raison d’être, quand l’idée dominante autour de laquelle elles étaient naguère organisées leur est comme devenue étrangère». René Grousset cité par Roger-Pol Droit dans Comment disparaissent les civilisations, Le Point, n° 2291, 4 août 2016.

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   « La « crise d’existence de l’Europe », dont on discute tant aujourd’hui et qu’attestent d’innombrables symptômes de péril mortel, n’est pas un destin ténébreux, une fatalité impénétrable; on peut la comprendre et la pénétrer du regard si l’on place à l’arrière-plan la téléologie de l’histoire européenne que la philosophie permet de découvrir. Mais l’intelligence de cette histoire présuppose que l’on ait auparavant atteint le phénomène Europe et qu’on ait été au cœur de son essence. Pour pouvoir saisir le caractère inessentiel de la crise présente, il faudrait dégager le concept d’Europe *(Cf. lien)  et y faire apparaître la téléologie historique qui ordonne les buts infinis de la raison; il faudrait montrer comment le monde européen est né d’idées de la raison, à savoir de l’esprit de la philosophie. La « crise » pourrait alors s’éclairer si l’on y discernait l’échec apparent du rationalisme. Si une culture rationnelle n’a pas abouti, la raison – comme on l’a montré – n’en réside pas dans l’essence du rationalisme lui-même, mais seulement dans son aliénation, dans le fait qu’il s’est enlisé dans le naturalisme et l’objectivisme.

   La crise d’existence de l’Europe n’a que deux issues : ou bien l’Europe disparaîtra en se rendant toujours plus étrangère à sa propre signification rationnelle, qui est son sens vital, et sombrera dans la haine de l’esprit et dans la barbarie; ou bien l’Europe renaîtra de l’esprit de la philosophie, grâce à un héroïsme de la raison qui surmontera définitivement le naturalisme. Le plus grand péril qui menace l’Europe, c’est la lassitude. Combattons ce péril des périls en « bons Européens », animés de ce courage que même un combat infini n’effraie pas. Alors, de la flamme destructrice de l’incrédulité, du feu où se consume tout espoir en la mission humaine de l’Occident, des cendres de la pesante lassitude, ressuscitera le Phénix d’une nouvelle intériorité vivante, d’une nouvelle spiritualité; ce sera pour les hommes le gage secret d’un grand et durable avenir : car seul l’esprit est immortel».

     Husserl, in Revue de Métaphysique et de morale, 195o, III, p.257-258.