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Histoire et mémoire.

 

  «  A priori, histoire et mémoire sont deux perceptions du passé nettement différenciées. Le fait a été souvent analysé, en particulier récemment par Pierre Nora. La mémoire est un vécu, en perpétuelle évolution, tandis que l’histoire — celle des historiens — est une reconstruction savante et abstraite, plus encline à délimiter un savoir constitutif et durable. La mémoire est plurielle en ce sens qu’elle émane des groupes sociaux, partis, Eglises, communautés régionales, linguistiques ou autres. De ce point de vue, la mémoire dite «collective » est à première vue une chimère, car somme imparfaite de mémoires éclatées et hétérogènes. L’histoire en revanche a une vocation plus universelle, sinon plus oecuménique. Malgré les conflits, elle est une propédeutique de la citoyenneté. La mémoire, parfois, est du registre du sacré, de la foi; l’histoire est critique et laïque. La première est sujette au refoulement, tandis que, toujours a priori, rien n’est étranger au territoire de l’historien.

   Cette distinction est pourtant un trait propre au XX° siècle, mis en évidence par Maurice Halbwachs, disciple de Bergson, et qu’illustre l’évolution de l’historiographie contemporaine, tournée vers le savoir et non plus vers la légitimation. Au siècle dernier, en particulier en France, la différence n’existait pratiquement pas. L’histoire avait pour fonction essentielle de légitimer la République naissante et de forger un sentiment national ce que Pierre Nora appelle « l’histoire-mémoire ». Or, aujourd’hui, l’assimilation n’est plus possible; l’éclatement de la société rurale porteuse de traditions ancestrales, l’inflation des sources d’information, qui ont entraîné une multitude d’approches de la réalité sociale, l’affaiblissement du sentiment national en Europe occidentale depuis la Seconde Guerre mondiale, la profondeur des fractures internes, dont précisément celle de Vichy, ont fait diverger l’évolution de l’histoire et celle des mémoires : « Avec l’avènement de la société en lieu et place de la nation, la légitimation par le passé, donc par l’histoire, a cédé le pas à la légitimation par l’avenir. Le passé, on ne pouvait que le connaître et le vénérer, et la nation, la servir; l’avenir, il faut le préparer. Les trois termes ont repris leur autonomie. La nation n’est plus un combat, mais un donné; l’histoire est devenue une science sociale; et la mémoire un phénomène purement privé. La nation-mémoire aura été la dernière incarnation de l’histoire- mémoire » Pierre Nora, Les lieux de mémoire, tome I, p. XXV.    D’où un nouvel atelier d’historien: l’histoire de la mémoire, c’est-à-dire l’étude de l’évolution des différentes pratiques sociales, de leur forme et de leur contenu, ayant pour objet ou pour effet, explicitement ou non, la représentation du passé et l’entretien de son souvenir, soit au sein d’un groupe donné, soit au sein de la société tout entière. »

    Henry Rousso. Le syndrome de Vichy, de 1944 à nos jours, Seuil, 1987, p.10.11.

 

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  Thème : l’histoire et la mémoire.

 Questions : Si dans sa forme traditionnelle l’histoire a d’abord été une « histoire-mémoire » destinée à cimenter un corps social, à forger un sentiment national et à légitimer l’ordre existant, qu’en est-il avec l’avènement d’une histoire soucieuse de se constituer selon une norme d’objectivité ? L’histoire et la mémoire ne sont-elles pas conduites à divorcer, d’autant plus qu’en lieu et place de la nation, il faut désormais parler de société, ensemble hétérogène de personnes ayant des passés différents et donc des mémoires différenciées voire conflictuelles?

  Thèse : La mémoire soit individuelle soit collective est la fonction du souvenir. Elle est la faculté de rappeler dans le présent quelque chose qui est identifié comme renvoyant au passé. En tant qu’elle est rétention dans le présent d’une chose passée, elle est un phénomène présent. Ce qui demeure ou est rappelé du passé n’est pas le passé lui-même, c’est sa trace présente. Il se peut donc qu’elle nous parle davantage du présent que du passé dont elle se veut la gardienne. « D’où un nouvel atelier d’historien : l’histoire de la mémoire, c’est-à-dire l’étude de l’évolution des différentes pratiques sociales, de leur forme et de leur contenu, ayant pour objet ou pour effet, explicitement ou non, la représentation du passé et l’entretien de son souvenir, soit au sein d’un groupe donné, soit au sein de la société tout entière. »

Question : En quoi consiste l’hétérogénéité de l’histoire et de la mémoire ?

Thèse : L’analyse comparative de l’histoire et de la mémoire permet d’établir les distinctions suivantes :