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   Elle revendique haut et fort ne pas être une artiste à message et pourtant quelle éloquence dans ce qu’elle donne à voir ! Œuvre saisissante que la Fondation Maeght met en scène dans la diversité de ses matériaux,  terre, acier, plâtre, résine, bois ; dans la multiplicité de ses réussites, peinture, sculpture, vidéos, installation et ses diverses expressions dans le temps. Ce n’est pas une rétrospective mais on n’en est pas loin.

   Cette artiste née en Allemagne en 1950, autodidacte, issue du monde du cinéma et de la photographie est inclassable. Je ne vois dans son travail aucune inspiration romantique ni aucun humanisme comme on le lit parfois dans les commentaires des uns ou des autres. Mais à coup sûr l’écho d’une époque hantée par la certitude de l’harmonie cosmique rompue. La matrice terrienne est omniprésente mais animaux, hommes, éléments ne construisent pas un cosmos unifié. L’ironie, l’humour sauvent l’expression de l’artiste de toute noirceur. On voyage dans les salles de la Fondation avec une impression de sérénité, presque de légèreté mais cette sérénité est celle d’une existence bien convaincue que « La planète n’a rien à faire de nous. Elle existait bien avant, et elle sera toujours là bien après nous » comme le dit Gloria Friedmann dans son entretien avec Catherine Millet. Catalogue, p. 36.

   L’homme n’y surgit que pour être effacé dans ses prétentions traditionnelles et c'est cela qui m'a particulièrement intéressée, non pour souscrire à l'idée mais pour admirer la manière dont elle est traitée.

   Effacement donc de l'homme dans ses prétentions narcissiques:

  • Celle de l’individuation que Gloria Friedmann s’emploie à dissoudre dans l’indifférenciation originaire (No Men’s Land II, 2012/13) ou dans l’entropie finale sous les espèces du mouvement vers le chaos final (L’ancêtre du Futur, 1987, Attraction Fatale, 2007) ou de l’accomplissement de la fécondité dans une frondaison macabre (Elle, 2011).
 
  • Celle de la supériorité ontologique. Il est significatif que l’exposition s’ouvre sur la monumentale sculpture intitulée Les Inséparables, 2013. Dans le bassin où fleurissent d’ordinaire les lotus, s’élève une tête d’homme surmontée d’un singe en guise de cerveau. Représentation surdéterminée s’il en est ! Comment ne pas être hypnotisé par l’inversion du schéma évolutif et de la hiérarchie classique? Faut-il y voir une volonté de restaurer l’intelligence animale dans une dignité injustement déniée ou la jubilation avec laquelle notre époque disqualifie le discours humaniste ? J’avoue avoir été surtout sensible à ce deuxième aspect. La représentation de l’homme n’est jamais glorieuse comme si la dérision était la meilleure façon de nous figurer. Que la tête humaine se prolonge des bois du cerf (ProteinSpecies, 2013), qu’un corps humain soit en équilibre instable sur une sphère posée sur une tortue (Le Passager, 2013), qu’un singe naturalisé contemple son reflet dans un miroir (Toi et Moi, 2002), on a toujours l’impression que la différence humaine doit être annulée. Trace éphémère de l’aventure cosmique, animal comme un autre, l’homme n’a manifestement pas de différence spécifique pour notre artiste, si ce n’est celle de se croire ridiculement une créature supérieure. D’où les mises en scène ironiques du fait culturel.
 
  • Celle de la culture. Les vidéos sont sur ce point éloquentes. Comme elles se veulent des tableaux vivants, rebelles par nature à un statut de pures images, je me permets de ne pas en parler et d’évoquer quelques  représentations dérisoires de la culture. L’une s’intitule Envoyé spécial, (1995). On y voie un cerf naturalisé faisant retentir son brame du haut d’une balle de journaux. Comme si l’histoire humaine déployant dans les nouvelles du jour son incohérence mais aussi peut-être son sens n’en avait décidément pas. Rien d’autre qu’un accident cosmique à réintégrer dans les bruits de la vie accomplissant sa geste anonyme et absurde. Roue d’un temps cyclique comme dans Absurdistan, (2010) où la croix gammée peut faire tourner le monde à l’envers sans que celui qui semble tourner à l’endroit soit fondamentalement différent, comme le montre Chambord, (1997). 

     Œuvre à voir donc car il y a en elle une réussite qui est à soi seul un enchantement, mais si on y ajoute le bonheur qu’il y a toujours à retrouver la Fondation Maeght à St Paul de Vence, le bonheur est parfait.

  Play-Back d'Eden. Exposition du 30 mars au 16 juin 2013.

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2 Réponses à “Gloria Friedmann à la fondation Maeght. St Paul de Vence.”

  1. Frédéric dit :

    bonjour madame Manon,

    Il y a une exposition à St Paul organisée par BH Levy, qui vient de publier sur le sujet un livre. Cet artiste en fait partie ?

    Par ailleurs avez-vous lu le livre de BHL ? si oui qu’en pensez vous ?

    Je vous remercie

    cordialement

  2. Simone MANON dit :

    Bonjour Frédéric
    L’exposition à laquelle vous faîtes allusion n’ouvre que le 29 juin. Elle dure jusqu’à la fin novembre, ce qui laisse du temps pour se rendre à St Paul. Je n’ai donc pas consulté le catalogue.
    Jusqu’à cette date on peut découvrir Gloria Friedmann.

    Bien à vous.

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