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Echange et don.

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family potlatch. www.presentationhousegall.com/Salloum.html

 

 « Dans les économies et dans les droits qui ont précédé les nôtres, on ne constate pour ainsi dire jamais de simples échanges de biens, de richesses et de produits au cours d'un marché passé entre les individus.

D'abord, ce ne sont pas des individus, ce sont des collectivités qui s'obligent mutuellement, échangent et contractent; les personnes présentes au contrat sont des personnes morales : tribus, familles, qui s'affrontent et s'opposent soit en groupes se faisant face sur le terrain même, soit par l'intermédiaire de leurs chefs, soit de ces deux façons à la fois. De plus, ce qu'ils échangent, ce n'est pas exclusivement des biens et des richesses, des meubles et des immeubles, des choses utiles économiquement. Ce sont avant tout des politesses, des festins, des rites, des services militaires, des femmes, des enfants, des danses, des fêtes, des foires dont le marché n'est qu'un des moments et où la circulation des richesses n'est qu'un des termes d'un contrat beaucoup plus général et beaucoup plus permanent. Enfin ces prestations et contre-prestations s'engagent sous une forme plutôt volontaire, par des présents, cadeaux, bien qu'elles soient au fond rigoureusement obligatoires, à peine de guerre privée ou publique. Nous avons proposé d'appeler tout ceci le système des prestations totales.

   Les Tlinkit et les Haïda, deux tribus du nord-ouest américain expriment fortement la nature de ces pratiques en disant que « les deux phratries se montrent respect».
   Mais, dans ces deux dernières tribus du nord-ouest américain et dans toute cette région apparaît une forme typique certes, mais évoluée et relativement rare, de ces prestations totales.
   Nous avons proposé de l'appeler potlatch, comme font d'ailleurs les auteurs américains se servant du nom chinook  devenu partie du langage courant des Blancs et des Indiens de Vancouver à l'Alaska.
« Potlatch » veut dire essentiellement « nourrir», « consommer». Ces tribus, fort riches, qui vivent dans les îles ou sur la côte ou entre les Rocheuses et la côte, passent leur hiver dans une perpétuelle fête : banquets, foires et marchés, qui sont en même temps l'assemblée solennelle de la tribu. Celle-ci y est rangée suivant ses confréries hiérarchiques, ses sociétés secrètes, souvent confondues avec les premières et clans; et tout, clans, mariages, initiations, séances de shamanisme et du culte des grands dieux, des totems ou des ancêtres collectifs ou individuels du clan, tout se mêle en un inextricable lacis de rites, de prestations juridiques et économiques, de fixations de rangs politiques dans la société des hommes, dans la tribu et dans les confédérations de tribus et même internationalement. Mais ce qui est remarquable dans ces tribus, c'est le principe de la rivalité et de l'antagonisme qui domine toutes ces pratiques. On y va jusqu'à la bataille, jusqu'à la mise à mort des chef et nobles qui s'affrontent ainsi. On y va d'autre part jusqu'à la destruction purement somptuaire des richesses accumulées pour éclipser le chef rival en même temps qu'associé (d'ordinaire grand-père, beau-père ou gendre). Il y a prestation totale en ce sens que c'est bien tout le clan qui contracte pour tous, pour tout ce qu'il possède et pour tout ce qu'il fait, par l'intermédiaire de son chef.  Mais cette prestation revêt de la part du chef une allure agonistique très marquée. Elle est essentiellement usuraire et somptuaire et l'on assiste avant tout à une lutte des nobles pour assurer entre eux une hiérarchie dont ultérieurement profite le clan.
   Nous proposons de réserver le nom de potlatch à ce genre d'institution que l'on pourrait avec moins de danger et plus de précision, mais aussi plus longuement appeler prestations totales de type agonistique »
             M. Mauss, Essai sur le don, (1923)dans Sociologie et Anthropologie, PUF, p. 150-153.
 
 
 «Il  est possible d'étendre ces observations à nos propres sociétés.
   Une partie considérable de notre morale et de notre vie elle-même stationne toujours dans cette même atmosphère du don, de l'obligation et de la liberté mêlés. Heureusement, tout n'est pas encore classé exclusivement en termes d'achat et de  vente. Les choses ont encore une valeur de sentiment en plus de leur valeur vénale, si tant est qu'il y ait des valeurs qui soient seulement de ce genre. Nous n'avons pas qu'une morale de marchands. Il nous reste des gens et des classes qui ont encore les moeurs d'autrefois et nous nous y plions presque tous, au moins à certaines époques de l'année ou à certaines occasions.
   Le don non rendu rend encore inférieur celui qui l'a accepté, surtout quand il est reçu sans esprit de retour. Ce n'est pas sortir du domaine germanique que de rappeler le curieux essai d'Emerson, On Gifts and Presents. La charité est encore blessante pour celui qui l'accepte, et tout l'effort de notre morale tend à supprimer le patronage inconscient et injurieux du riche « aumônier ».
   L'invitation doit être rendue, tout comme la «politesse ». On voit ici, sur le fait la trace du vieux fond traditionnel, celle des vieux potlatch nobles, et aussi on voit affleurer ces motifs fondamentaux de l'activité humaine : l'émulation entre les individus du même sexe, cet «impérialisme foncier » des hommes - fond social d'une part, fond animal et psychologique de l'autre, voilà ce qui apparaît. Dans cette vie à part qu'est notre vie sociale, nous-mêmes, nous ne pouvons « rester en reste », comme on dit encore chez nous. Il faut rendre plus qu'on a reçu. La « tournée » est toujours plus chère et plus grande. Ainsi telle famille villageoise de notre enfance, en Lorraine, qui se restreignait à la vie la plus modeste en temps courant, se ruinait pour ses hôtes, à l'occasion de fêtes patronales, de mariage, de communion ou d'enterrement. Il faut être « grand seigneur » dans ces occasions. On peut même dire qu'une partie de notre peuple se conduit constamment et dépense sans compter quand il s'agit de ses hôtes, de ses fêtes, de ses « étrennes ».
   L'invitation doit être faite et elle doit être acceptée » Ibid, p. 258.
 
 
 Questions :
 
1)      Qu'est-ce que Mauss appelle « un système de prestations totales » ou un fait social total ?
2)      Définissez avec rigueur l'idée de don et celle d'échange.
3)      Comparez la définition courante de la notion de don avec celle de Mauss. Relevez ce qui oppose ces deux sens et ce qu'ils ont de commun.
4)      Formulez la question que vous pourriez avoir à traiter en dissertation.

 

 Correction :

 

 

 
1)      Qu'est-ce qu'un fait social total ?
 
   Marcel Mauss établit la nécessité de recourir à ce concept dans le cadre de l'étude qui l'a rendu célèbre, c'est-à-dire de son Essai sur le don. Ses études ethnographiques portant sur les populations du Nord-Ouest américain avec la coutume du potlatch, sur le droit polynésien, sur la langue germanique et l'ambiguïté du terme gift signifiant aussi bien cadeau que poison, le conduisent à voir dans le don, une forme fondamentale de l'échange. Cette forme originaire met en jeu tous les aspects de la vie sociale et disqualifie les séparations que nous établissons :
  • d'une part entre les hommes, comme si ceux-ci étaient des atomes ayant une existence autonome, indépendante du social,
  • d'autre part entre les activités sociales, comme si celles-ci ne s'articulaient pas dans un ensemble symbolique dont chacune est la manifestation singulière.
   En réalité l'existence individuelle cristallise sous forme inconsciente des contraintes sociales au point que ce que nous distinguons spéculativement : l'individuel et le collectif, est fortement intriqué dans la réalité concrète.
   De même aucune dimension de la vie sociale n'est absolument autonome. Chacune est solidaire de toutes les autres. La religion, l'art, la science, le droit, les mœurs etc. participent d'une symbolique d'ensemble. La socialité est présente en chacune d'elles comme dans chaque comportement individuel.
 
   « [...] le potlatch est bien plus qu'un phénomène juridique : il est un de ceux que nous proposons d'appeler «  totaux ». Il est religieux mythologique et shamanistique, puisque les chefs qui s'y engagent y représentent, y incarnent les ancêtres et les dieux, dont ils portent le nom, dont ils dansent les danses et dont les esprits les possèdent. Il est économique et il faut mesurer la valeur, l'importance, les raisons et les effets de ces transactions énormes, même actuellement, quand on les chiffre en valeurs européennes. Le potlatch est aussi un phénomène de morphologie sociale: la réunion des tribus, des clans et des familles, même celle des nations y produit une grande nervosité, une excitation remarquables : on fraternise et cependant on reste étranger; on communique et on s'oppose dans un gigantesque commerce et dans un grand tournoi. Nous passons sur les phénomènes esthétiques qui sont extrêmement nombreux ».Sociologie et anthropologie, p.204.205.
   Citant ce passage, Bruno karsenti, dans la remarquable étude qu'il propose du texte de Mauss, dans Marcel Mauss, Le fait social total, ouvrage dont je recommande absolument la lecture, écrit : « L'objectivation sociologique, dans sa forme la plus accomplie et la plus féconde, c'est-à-dire en tant qu'elle touche aux choses sociales elles-mêmes dans leur dimension la plus essentielle, révèle des phénomènes «totaux ». Par là, il convient d'entendre certains faits dont la détermination n'obéit pas aux critères d'une répartition fonctionnelle - répartition fondée sur la prégnance du modèle organique en sociologie qui marque encore l'oeuvre de Durkheim - mais plutôt à la densité symbolique qui leur permet de faire communiquer, à leur propre niveau, l'ensemble des aspects de la vie sociale. Droit, économie, art, religion, politique, ne sont autant de fonctions sociales distinctes que dans la mesure où toutes les activités qu'elles définissent interfèrent concrètement au point nodal du don, où elles puisent à la fois énergie et forme - au point que la morphologie du groupe s'en trouve elle-même fortement marquée. » Marcel Mauss, Le fait social total, PUF, p. 102.
 
 
2)      Définition des notions de don et d'échange.
 
a)      Le don.
 
   Comme tous les concepts linguistiques le mot a une ambiguïté. Il suffit d'ouvrir le dictionnaire pour en prendre la mesure. Ainsi il va de soi que si « don » signifie un talent ou une disposition innée pour quelque chose, la signification n'a aucune pertinence dans le cadre de notre analyse.
   Par « don » il faut entendre ici « l'action d'abandonner gratuitement et volontairement à quelqu'un la propriété ou la jouissance de quelque chose » (Le petit Robert) ou « ce qu'on abandonne à quelqu'un sans rien recevoir de lui en échange » (Ibid).
   Donner c'est donc faire cadeau à quelqu'un de quelque chose. L'acte connote les idées d'offrande, de gratuité, de générosité, de désintéressement comme cela apparaît dans l'expression « le don de soi », rapport oblatif à autrui qui peut aller du dévouement au sacrifice de soi.
 
b)      L'échange.
 
   Echanger consiste aussi à céder quelque chose à quelqu'un mais moyennant contrepartie. Je te donne ceci mais je ne te le donne pas gratuitement ; en retour tu dois me donner autre chose, l'échange supposant une entente sur la règle fondant la justice de la transaction.
   L'échange est donc un mouvement d'intention réciproque entre deux parties alors que le don implique, en toute rigueur, la transgression de la réciprocité. Il s'effectue dans un seul sens, du donateur vers le donataire sans obligation d'un retour du donataire vers le donateur.
 
 
3)      Comparaison de la définition courante de la notion de don avec celle de Mauss.
 
      « [...] ce ne sont pas des individus, ce sont des collectivités qui s'obligent mutuellement, échangent et contractent; les personnes présentes au contrat sont des personnes morales : tribus, familles, qui s'affrontent et s'opposent soit en groupes se faisant face sur le terrain même, soit par l'intermédiaire de leurs chefs, soit de ces deux façons à la fois. »
   « [...] ces prestations et contre-prestations s'engagent sous une forme plutôt volontaire, par des présents, cadeaux, bien qu'elles soient au fond rigoureusement obligatoires, à peine de guerre privée ou publique. »
   « [...] ce qui est remarquable dans ces tribus, c'est le principe de la rivalité et de l'antagonisme qui domine toutes ces pratiques. »
 

   On ne peut que s'étonner d'entendre appeler « don » une prestation ne semblant pas avoir les caractères de ce que nous entendons d'ordinaire par là.

  • Un don nous semble mettre en jeu des personnes dans une relation interindividuelle. Dans la pratique du potlatch ce n'est pas le cas. Les sujets concernés sont des collectivités ou des personnes représentant un clan, une phratrie, une tribu. Au caractère personnel, intersubjectif d'un côté s'oppose la dimension collective de l'autre
  • Un don nous semble avoir sa source dans l'initiative d'une liberté. Il n'est pas l'accomplissement d'une obligation sociale mais l'expression de l'amitié ou de l'amour liant des personnes singulières ou bien d'une générosité s'enracinant dans l'amour de l'humanité. Le don est donc fondamentalement libre, volontaire à l'inverse de ce qui se passe dans le potlatch. Ici donner des festins, des cadeaux somptuaires, des objets de luxe y est « au fond rigoureusement obligatoire ».
  • Le don ne s'entoure pas de publicité. Il s'accomplit sur la scène privée et avec une certaine discrétion. Le potlatch est ostentatoire, il s'accomplit sur la scène publique.
  • Le don relève de la spontanéité d'une personne, le potlatch est un rite collectif.
  • Le don, dans son authenticité, n'appelle pas de contrepartie. Il est gratuit ou il n'est pas un véritable don. Il s'annule dès lors qu'il attend un retour. « Pour qu'il y ait don, il faut qu'il n'y ait pas de réciprocité, d'échange, de contre-don, ni de dette » remarque Derrida dans Donner le temps, Galilée, 1991, p.24. Pour qu'il y ait don, il faut que ni le donateur n'ait une claire conscience de donner, ni le donataire de recevoir. Car celui qui a conscience de recevoir se sent contracter une dette, ne serait-ce que celle de la gratitude, à l'égard de la personne dont il reçoit et celui qui a conscience de donner peut difficilement éviter d'attendre de la part de l'autre cette gratification symbolique qu'on appelle la reconnaissance. La pureté du don semble donc être à proportion de l'ignorance de ses protagonistes comme si avec la conscience de donner et celle de recevoir, s'engageait de facto une relation entre le donateur et le donataire de nature à annuler le don. Des deux côtés, s'opère un effacement du don, celui-ci s'inscrivant dans le système des échanges. « Celui qui donne ne doit pas le voir ou le savoir non plus, sans quoi il commence, dès le seuil, dès qu'il a l'intention de donner à se payer d'une reconnaissance symbolique, à se féliciter, à s'approuver, à se gratifier, à se congratuler, à se rendre symboliquement la valeur de ce qu'il vient de donner ». Derrida, Ibid, p. 27. Cette annulation du don dans son intégrité est très claire dans le potlatch dans lequel tout don appelle, même si c'est sous forme différée, un contre-don. L'offrande de cadeaux somptueux n'est pas gratuite. Elle engage une double obligation : celle de recevoir et celle de rendre. Le cadeau offert généreusement est même un cadeau empoisonné car les donataires devront rendre au centuple les richesses offertes.
  • Le don scelle des rapports d'amitié entre les personnes. Il est fondamentalement paisible. Le potlatch au contraire est agonistique. Un groupe lance un défi à l'autre, défi que ce dernier doit relever sous peine de déchoir, de perdre son honneur aux yeux de l'autre et à ses propres yeux. La générosité n'est qu'apparente. Le potlatch n'est pas pacifique, il est une manière d'affronter les autres dans une véritable lutte à mort pour le prestige. « En effet, et en fait, non seulement on y fait disparaître des choses utiles, de riches aliments consommés avec excès, mais même on y détruit pour le plaisir de détruire, par exemple, ces cuivres, ces monnaies, que les chefs tsimshian, tlingit et haïda jettent à l'eau et que brisent les chefs kwakiultl et ceux des tribus qui leur sont alliées Mais le motif de ces dons et de ces consommations forcenées, de ces pertes et de ces destructions folles de richesses, n'est, à aucun degré, surtout dans les sociétés à potlatch, désintéressé. Entre chefs et vassaux, entre vassaux et tenants, par ces dons, c'est la hiérarchie qui s'établit. Donner, c'est manifester sa supériorité, être plus, plus haut, magister; accepter sans rendre ou sans rendre plus, c'est se subordonner, devenir client et serviteur, devenir petit, choir plus bas (minister) [...] Etre le premier, le plus beau, le plus chanceux, le plus fort et le plus riche, voilà ce qu'on cherche et comment on l'obtient. Plus tard, le chef confirme son mana en redistribuant à ses vassaux, parents, ce qu'il vient de recevoir; il maintient son rang parmi les chefs en rendant bracelets contre colliers, hospitalité contre visites, et ainsi de suite... Dans ce cas la richesse est, à tout point de vue, autant un moyen de prestige qu'une chose d'utilité. » Mauss, Sociologie et anthropologie, p. 270.
 
 
   Si tout semble opposer le don au sens courant et le don tel que l'analyse Mauss, en revanche ils ont un point commun. Ils relèvent l'un et l'autre d'une économie qui n'est pas l'économie marchande ou capitaliste. Dans celle-ci l'échange repose sur un calcul des utilités. Ses membres sont conçus comme des sujets rationnels ayant en vue des intérêts qui ne sont pas simplement symboliques. Dans le potlatch la cérémonie des dons et des contre-dons met en scène des sujets qui sont surtout des sujets affectifs, engagés avec les autres dans une lutte à mort pour la domination.
 
   « L'économie de l'échange-don est une économie du prestige qui déjoue la conceptualisation utilitariste à plusieurs titres. D'abord, il faut souligner qu'elle met principalement en jeu des rapports de type affectif, qui s'articulent autour du désir de reconnaissance et de pouvoir, et qui se trouvent pour cela empreints d'une irrationalité foncière. En second lieu, elle concerne des biens symboliques qui ressortissent bien plus du luxe que du besoin. Enfin, elle s'appuie essentiellement sur des phénomènes de dépense, et non pas d'accumulation et de conservation ; son caractère n'est pas simplement improductif mais bien contre-productif, puisque résolument dispendieux. Insistons sur ces derniers points : de l'espace périphérique dans lequel à première vue - et même à seconde vue, puisque c'est aussi l'avis du rationalisme économique classique - ils  semblent se mouvoir, le luxe et la dépense se déplacent au point d'occuper une position centrale quant aux fondements de la vie sociale et à son architecture. Une lecture nouvelle et paradoxale de l'échange en général est alors possible, qui trouve sa source dans une interprétation plus rigoureuse et plus fine de ce curieux «intérêt à la perte » caractéristique des sociétés archaïques et cependant proche de nous. Car identifier, comme on l'a fait précédemment, l'intérêt propre à la vision utilitariste de l'économie, dans laquelle nous sommes passés maîtres à une époque relativement récente, cela ne revient pas à épuiser tout le sens possible, ni sans doute à atteindre le sens primordial de la manière dont les hommes sont effectivement intéressés.
   « Dans ces civilisations on est intéressé, mais d'une autre façon que de notre temps. On thésaurise, mais pour dépenser, pour « obliger », pour avoir des « hommes liges ». D'autre part, on échange, mais ce sont surtout des choses de luxe, des ornements, des vêtements, ou ce sont des choses immédiatement consommées, des festins. On rend avec usure, mais c'est pour humilier le premier donateur ou échangiste et non pas seulement pour le récompenser de la perte que lui cause une « consommation différée ». Il y a intérêt, mais cet intérêt n'est qu'analogue à celui qui, dit-on, nous guide » Sociologie et Anthropologie, p.270.271. »   Bruno Karsenti, Marcel Mauss, le fait social total, p.124.125.
 
   Cette lecture est ainsi une invitation à porter un regard plus averti sur notre propre société car : « est-il sûr qu'il en soit autrement parmi nous et que même la richesse ne soit pas avant tout le moyen de commander aux hommes ? » Mauss, Sociologie et anthropologie, p. 270.
 
 
4)      Formulation de la question qui pourrait être le sujet d'une dissertation.
 
   Un don gratuit, absolument désintéressé est-il possible ?
   L'intérêt matériel est-il le seul moteur des échanges ?

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4 Réponses à “Echange et don.”

  1. Amandine dit :

    Bonjour,

    Tout d’abord, je tiens à vous remercier pour votre fabuleux site qui est une vraie mine d’or !
    Voici ma question : y a-t-il un rapport entre l’Essai sur le don de Marcel Mauss et Les Argonautes du Pacifique occidental de Bronislaw Malinowski ?
    Je pense, je n’en suis pas sûre, que Marcel Mauss développe l’idée de potlatch qui se concentre une cellule plus restreinte que la kula.
    Enfin, quel(s) lien(s) avec la notion de culture ?

    Je vous remercie d’avance !

    Cordialement,
    Amandine

  2. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Vos questions prouvent à l’évidence que vous n’avez pas ouvert (je ne dis pas lu!) l’Essai sur le don.
    Vous y découvrirez que Mauss exploite pendant des pages entières les travaux de Malinowski et s’efforce de conceptualiser les similitudes et les différences du potlatch et de la kula.
    Je vous conseille de lire l’ouvrage dans la collection quadrige des PUF car il contient une excellente introduction de Florence Weber.
    Quant au rapport avec la notion de culture, il vous suffit de définir la notion au sens ethnologique pour n’avoir aucune difficulté à répondre à votre question. https://www.philolog.fr/la-culture/
    Bon travail.

  3. Eric.J dit :

    Bonjour madame. Merci pour votre dévouement si précieux.

    Peux-t-on dire que le don au sens strict d’abandon gratuit n’existe pas ? Que c’est un terme qui, sous l’influence de la pensée chrétienne, notamment par l’acte de charité au fondement de sa morale, revêt un caractère idéaliste ? Autrement-dit, l’acte désintéressé, la morale du devoir au sens strict, n’existent pas, dans la mesure où l’image de soi est toujours engagée. Le don peut se transformer alors en échange symbolique. Ou, lorsqu’il n’y a pas échange direct dans le cas du donateur et donataire anonymes dans les opérations caritatives par exemple, il y a au moins de la part du donateur comme motifs, un sentiment valorisant d’auto-satisfaction ou un sentiment dévalorisant de culpabilisation. De plus, il m’a souvent été donné de remarquer que même entre amis, la gratuité des actes se révèle lors de « règlements de comptes », de déceptions fréquentes, illusoire. Et qu’une récompense si infime et symbolique soit-elle est très souvent attendue en retour d’une libéralité ou faveur qui se présentaient d’abord dénuées de tout intéressement.

    Bien à vous.

  4. Simone MANON dit :

    Bonjour
    L’idée qu’un véritable don, c’est-à-dire un acte purement désintéressé, soit possible est l’objet d’un débat.
    Personnellement, je ne crois pas en être capable car même si cela me dérange de le reconnaître, je ne peux pas comprendre que celui qui reçoit ne ressente pas de la gratitude (qu’il l’exprime ou non, là n’est pas le problème).
    Il me semble qu’un authentique don (au sens où Derrida l’analyse) ne peut se penser que dans une économie de la grâce et comme je n’en nie pas la possibilité, je pense que certaines personnes sont capables d’un acte aussi sublime. Mais cela implique la subversion de nos tendances naturelles et ne peut qu’être de l’ordre de l’exception.
    Bien à vous.

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