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Max Weber.1864.1920. Photo Leif Eriksson.

Agnosticisme : Du grec : gnosis : la connaissance ; a : privatif.

Doctrine selon laquelle il n'y a pas de connaissance possible de tout ce qui dépasse l'expérience. L'agnostique suspend son jugement. Ni il n'affirme l'existence de Dieu, ni il ne la nie. Il avoue son impuissance en cette matière.

Animisme : Croyance ou religion selon laquelle la nature est peuplée d'âmes, tout corps étant habité par un esprit ou une volonté de manière analogue à ce qui se passe dans l'expérience humaine.

Athéisme : Doctrine qui nie l'existence de Dieu.

NB : Le mot a souvent été utilisé de façon injurieuse pour discréditer une conception hétérodoxe de la divinité. Spinoza fut en ce sens accusé d'athéisme.

Déisme : Doctrine admettant l'existence d'un Etre Suprême, aux attributs indéterminés, qu'il est possible de connaître par la seule lumière naturelle, sans le secours de la grâce et de la révélation. Le déisme ou religion naturelle a été historiquement un adversaire du christianisme et fut considéré comme un athéisme déguisé.

Fidéisme : Doctrine, condamnée par l'Eglise en 1848, selon laquelle la religion est affaire de pure foi dans la Révélation. Elle exclut donc toute justification rationnelle des dogmes. (Huet, Lamennais)

Laïcité : Le mot apparaît en 1871, dans le journal « La Patrie », à propos d'une polémique sur l'instruction religieuse dans l'enseignement.

  La notion veut connoter ce qui n'est pas ecclésiastique, religieux. Le mot laïc est mobilisé  car depuis le Moyen-âge, c'est celui qu'on oppose au clerc. Le laïc désigne celui qui ne fait pas partie du clergé. Le mot vient du grec laos désignant l'unité d'une population considérée comme un tout indivisible.

  Il faut bien voir que l'idée de laïcité témoigne du souci de distinguer des ordres, non de disqualifier le religieux comme les copies le montrent souvent ou comme les intégristes de la laïcité, au mépris de l'esprit laïc s'y emploient sans vergogne.

  La laïcité est, en France, une réalité constitutionnelle. L'article I de la Constitution de 1958 dit : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ».

  Elle est un dispositif juridique procédant de l'idée que la res-publica, c'est-à-dire la chose commune, ne peut pas être organisée sur des options spirituelles ou religieuses dont le propre est de n'être partagées que par quelques-uns. Pour garantir que la chose publique soit bien l'affaire de tous, il convient que l'Etat soit neutre en matière spirituelle et religieuse.

  La laïcité est donc, en un sens fondamental, le choix d'une organisation politique affranchie d'une détermination ou d'un fondement religieux. L'institution d'un Etat laïc correspond à la sortie de l'âge théologico-politique. Ce principe s'est traduit par la loi de séparation des Eglises et de l'Etat du 9.12.1905.

  Cette conception de l'Etat repose sur deux principes :

D'une part, la liberté de conscience est garantie comme un droit fondamental. L'Etat ne se reconnaît pas le droit d'intervenir dans les convictions de chacun. Chacun est libre d'adhérer aux croyances de son choix mais ses choix religieux sont une affaire privée.

D'autre part, des hommes ayant des options spirituelles ou religieuses différentes sont reconnus comme égaux en droit.

  Ce choix d'une neutralité de l'Etat en matière religieuse n'a évidemment rien de neutre. C'est un choix de valeur. La laïcité est le parti pris d'un espace public où des individus ayant des convictions très différentes, instituent le vivre-ensemble sur des principes protégeant la liberté de chacun. Tous les hommes étant libres et égaux en droits, c'est à eux, par la délibération rationnelle de définir la loi commune, selon des procédures constitutionnellement établies. Coupé du fondement ethnique ou religieux, le lien social doit être rationnellement institué.

  D'où la nécessité de développer la raison en chacun. La République française a donc considéré que pour avoir une assise dans le peuple, elle avait besoin d'une institution organique, conçue comme espace où chacun est mis en situation de faire l'apprentissage de l'autonomie rationnelle. Elle a institué une école publique, gratuite, laïque et obligatoire.

Monothéisme : Doctrine affirmant l'existence d'un dieu unique, personnel et distinct du monde qu'il a crée. Le judaïsme, le christianisme et l'islam sont des monothéismes.

Panthéisme : Doctrine selon laquelle le monde et Dieu ne font qu'un ; soit que tout ce qui est soit conçu comme étant en Dieu, soit que Dieu soit immanent au monde. Le stoïcisme, le spinozisme sont des panthéismes. Dieu n'est donc pas conçu comme un être personnel, transcendant et créateur.

Polythéisme : Doctrine affirmant l'existence de plusieurs dieux. Ex : Le paganisme grec et romain.

Théisme : Doctrine admettant l'existence d'un Dieu unique et personnel comme cause première et transcendante du monde.

   NB : Que signifie le thème wébérien du désenchantement du monde ?

  C'est, selon notre auteur, la contrepartie du puissant processus de rationalisation du monde qui s'est opéré en Occident depuis la fin du Moyen Age. Cette rationalisation orientée vers l'action procède d'une volonté de contrôle et de domination systématique de la nature et des hommes. Weber la décrit dans ses multiples aspects :

  -La rationalisation économique inhérente au système capitaliste, celui-ci constituant l'organisation économique la plus puissante et la plus rationnelle dans la production des biens matériels.

  -La rationalisation scientifique conduisant à voir dans les phénomènes le produit de forces dont il est possible d'expliciter les lois. La science entraîne la disparition de la croyance en la magie et plus largement de la croyance en l'intervention de Dieu ou de la Providence dans le cours des choses. Le monde est considéré comme dépourvu de sens, comme l'effet d'une causalité aveugle, pur mécanisme sans intention, ni finalité. L'homme désormais vit dans un monde et d'une existence qui sont en deuil de sens. Les questions métaphysiques que la raison affrontait traditionnellement n'ont pas de pertinence scientifique. Par méthode, la science ne pose pas la question du sens.

  « L'intellectualisation et la rationalisation croissantes ne signifient donc nullement une connaissance générale croissante des conditions dans lesquelles nous vivons. Elles signifient bien plutôt que nous savons ou que nous croyons qu'à chaque instant nous pourrions, pourvu seulement que nous le voulions, nous prouver qu'il n'existe en principe aucune puissance mystérieuse et imprévisible qui interfère dans le cours de la vie ; bref que nous pouvons maîtriser toute chose par la prévision. Mais cela revient à désenchanter le monde. Il ne s'agit plus pour nous, comme pour le sauvage qui croit à l'existence de ces puissances, de faire appel à des moyens magiques en vue de maîtriser les esprits ou de les implorer mais de recourir à la technique et à la prévision ».Le Savant et le Politique. 1919.

  Marcel Gauchet a publié en  1985 un livre intitulé Le Désenchantement du monde  dans lequel il   soutient  une thèse ayant fait date. La sécularisation du lien social, la désacralisation de la nature seraient à porter au crédit du christianisme. "Le christianisme est la religion de la sortie de la religion" affirme-t-il.

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25 Réponses à “Agnosticisme, laïcité, désenchantement du monde etc.”

  1. shauna dit :

    En ce qui concerne la laïcité, peut-on parler d’une pluralité de la laïcité?

    J’ai pu observer , en allemagne, une conception bien différente de la laîcité de ce que nous connaissons en france> ou elle est plutot braquée contre la religion.Labas, elle est encouragée, les lycéens ont la possiblité d’inscrire des cours de religion dans leur cursus scolaire(meme s’il ne sont limités qu’au catholicisme et au protestantisme), et il est tout a fait permis que des élèves qui le désirent soient voilées en classe.

  2. Simone MANON dit :

    Tous les pays n’ont pas organisé la laïcité de la même manière. Des institutions sont le fruit d’une histoire. La laïcité a été au XIX° siècle l’enjeu d’un combat violent en France où s’opposaient deux idées de la France: France, fille aînée de l’Eglise d’un côté, France, fille de le Révolution de 1789 de l’autre.
    Quelles que soient les différences, la laïcité implique la neutralité de l’Etat, la liberté de conscience et le pluralisme. Ce n’est pas un dispositif juridique dirigé contre la croyance religieuse mais contre les prétentions à la domination politique des religions. Il s’agit de sauvegarder la liberté de tous et en particulier de ceux qui ne croient pas et l’égalité des religions sur un territoire national.
    L’école étant le pilier de la République (en droit car en fait il est permis d’en douter dans la mesure où elle semble devenue un Etat dans l’Etat) et les services publics, l’espace où l’idée abstraite d’Etat a une visibilité, nous avons considéré que la stricte neutralité religieuse doit être respectée. D’où l’interdiction du port du voile, signe ostentatoire d’une appartenance religieuse. Dans d’autres pays on est plus souple sur la question vestimentaire et il peut y avoir des régimes style concordat.
    La laïcité est aujourd’hui contestée sur plusieurs fronts:
    Celui de la gestion matérielle des cultes. Sur ce point on devrait pouvoir trouver une solution sans remettre en cause la loi de séparation des Eglises et de l’Etat.
    Elle l’est aussi par certaines minorités qui n’en acceptent pas le principe. Sur ce point la laïcité doit être non négociable.

  3. jennifer dit :

    bonjour quel est le désenchantement du monde selon marcel gauchet ?? merci davance ^^

  4. Simone MANON dit :

    C’est la reprise du thème webérien. Alors que traditionnellement l’imaginaire religieux structurait le monde humain ( le lien social, la forme d’organisation politique, le rapport à la nature etc. ) le désenchantement du monde signifie que cet imaginaire religieux s’effondre. L’homme se réapproprie le pouvoir d’instituer son monde de manière autonome or Marcel Gauchet montre que ce mouvement d’émancipation trouve son assise dans la religion chrétienne.
    Pour le développement de cette idée voyez dans le chapitre: Réflexion sur l’Europe, l’article: Les deux matrices de l’Europe.

  5. B. FERRUCCIA dit :

    Bonjour et merci pour ces agapes noétiques,

    Existe-t-il quelque part dans notre esprit collectif (gnose « universelle ») une idée reçue du monde selon laquelle l’existence de l’homme, pas plus que celle d’une fourmi ou d’un ver, n’a de sens que dans l’équilibre d’un ensemble (environnement) qui privé de lui, évoluerait par réarrangement avec la facilité de l’eau qui passe d’un volume cubique à un volume cylindrique ?

    De et en quoi le travail est-il fondamental chez l’homme, de et en quoi la connaissance est-elle délivrance quand le sens se réduit à de brèves limites (empirisme / existence) en dehors desquelles seul demeure l’agnosticisme ?

    De et en quoi l’illusion et la farce employées à entretenir et motiver la causalité de la condition humaine des masses (asservissement, endoctrinement, conditionnement) sont-elles une condamnation inéluctable des détenteurs de l’esprit des lumières et un échec de la morale et des lois ?

    Bien à vous,

    Blaise

  6. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Je ne suis pas sûre de comprendre le sens de vos questions et même si elles étaient claires pour moi, elles portent sur des thèmes si divers qu’il me serait bien impossible de répondre dans les limites du genre.
    Avec mes regrets.

  7. Pierre dit :

    Bonjour Simone,
    J’ai beaucoup apprécié votre développement sur la laïcité, notamment votre précision relative à sa finalité qui n’est pas de disqualifier le sentiment religieux mais de l’exclure du domaine public.
    Je crois vos propos tout à fait à propos en ces temps de montée de l’intégrisme religieux.
    Je vous souhaite de belles fêtes de fin d’année.
    A l’année prochaine,
    Pierre

  8. Simone MANON dit :

    Joyeux Noël à vous aussi Pierre.
    Que la nouvelle année vous apporte la réussite de vos projets et le bonheur intime.

  9. Clémence dit :

    Bonjour, si j’ai bien compris, la laïcité est le fait que les règles politiques soient séparées des règles religieuses afin d’éviter une utilisation politique de la religion par des minorités (ex: l’islamisme). Ainsi, il est possible que certaines lois mises en place par le gouvernement ne soient pas conformes à la morale religieuse, telle que la légalisation de l’avortement en 1975.
    La laïcité implique donc deux dimensions distinctes: la dimension politique et la dimension religieuse. La religion ne doit plus servir d’institution sociale, elle ne doit plus organiser la vie collective comme elle pouvait le faire auparavant, afin d’éviter toute fracture sociale (ex: les enfants musulmans peuvent aller dans la même école que les enfants chrétiens, ou juifs). Néanmoins; la religion reste une expérience personnelle et intime, qui ne peut disparaître.
    Cependant, j’ai une question: notre professeur nous a dit que nous retrouvions les mêmes catégories en politique qu’en religion, je ne vois pas vraiment lesquelles (Clergé, noblesse et tiers-Etat ?). La religion serait donc le fondement de toutes politiques ?
    De plus, c’est bien au nom de la « religion naturelle » qui consiste à « unir tous les hommes, et non à les diviser » (Voltaire) que la laïcité a été crée ?
    Dans l’attente de votre réponse,
    à bientôt !

  10. Simone MANON dit :

    Bonjour Clémence
    Votre propos est très confus.
    Je ne sais pas quelle est la substance du discours de votre professeur. En tout cas vous devez bien comprendre que l’Etat laïc est un Etat sorti de l’âge théologico-politique c’est-à-dire de l’époque où la religion était au fondement de l’organisation politique. Et ce n’est certes pas « au nom de la religion naturelle » qu’il a été institué.
    L’idée de laïcité n’est donc pas comprise.
    Voyez le chapitre 1 de la II partie du cours sur la tolérance pour clarifier vos idées. https://www.philolog.fr/la-tolerance/
    Bien à vous.

  11. anny dit :

    Bonjour, je reviens visiter votre site après une absence. Je le trouve toujours aussi intéressant et ouvert.
    Je pense, pour ma part, que le panthéisme est une « pensée » qui réconcilie tout le monde: croyants et incroyants, monothéistes et polythéistes, car il est à la fois théiste, athée, polythéiste, vu que le concept Dieu est tout et en tout !
    C’est simplifier mais suite à une longue recherche personnelle sur religions et spiritualités et spinozisme (souvent mal perçu). On peut vivre le panthéisme par toutes ses facettes, il est animiste mais aussi moniste, il résume, réconcilie et apaise, à mon avis, s’il est bien compris, bien sûr. Est-ce le déformer que le repenser ainsi ? Comme une néospiritualité pour l’homme moderne désenchanté (voir Thoreau , Ruppert Sheldrake, etc…) ?
    Bien à vous amicalement.

  12. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Les spiritualités sont affaire d’expériences et de recherches personnelles dans un monde revendiquant l’autonomie des hommes. Et il me semble qu’à vouloir tout réconcilier on finit par n’être rien.
    Bien à vous.

  13. anny dit :

    Chère Madame, je prends note, je n’y avais pas pensé. Mais je suis marquée par le martyr qu’a vécu Baruch Spinoza, pour exprimer ses idées qu’on dit panthéistes. Toutes ces individualités qui ont voulu prendre le pouvoir m’effraient. C’est dans le taoïsme que le vide rejoint le plein, et sans doute nous faut-t’il accepter toutes ces doctrines différenciées ; l’idéal étant de pouvoir faire son choix tout en respectant les autres philosophies. « La laïcité doit être non négociable », dîtes-vous. Etre laïque signifie aussi être ouvert. Et être religieux ou adepte d’une idée signifie aussi être ouvert à la laïcité : respect d’autrui, des idées des autres, en religion comme en politique et en social : telle est la conclusion ?????

  14. Arnaud dit :

    Chère Madame, Je ne vois pas en quoi Plotin devrait être rangé parmi les « panthéistes ». Les principes intelligibles du monde lui sont absolument transcendants et ne peuvent en rien se confondre avec le « tout » ou la nature… Vous ne verrez jamais une formule du type « l’Un ou la nature » chez Plotin. Si l’Un se confondait avec le monde ou le « tout », il ne serait déjà plus l’Un… La réalité, pour Plotin, est hiérarchisée et ses ordres ne peuvent en rien se confondre. La dialectique entre transcendance et immanence est certes complexe chez Plotin, mais elle ne conduit pas au panthéisme.
    Cordialement.

  15. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Vous savez bien que la question de savoir si la théorie de l’émanation plotinienne ne relève pas du panthéisme est une question très discutée.

    « Que ce qui est un et numériquement identique puisse être tout entier et partout à la fois, c’est là une notion commune [à tous les hommes]; et le mouvement spontané de la pensée porte tous les hommes à parler du « dieu qui est en chacun de nous » comme d’un seul et même être. Si on ne leur demandait pas la manière dont ce dieu est présent, et si l’on n’avait pas la volonté de soumettre leur opinion à l’examen de la raison, ils affirmeraient seulement qu’il en est ainsi et s’arrêteraient à cette pensée; appuyés sur l’idée d’un être un et identique à lui-même, ils auraient la volonté de ne pas se séparer de cette unité. C’est bien là aussi le principe le plus solide de tous; nos âmes l’énoncent en quelque sorte, sans qu’il résume des observations tirées de cas particuliers, puisqu’il est antérieur à ces observations, il est même antérieur au principe qui pose que toutes choses désirent le Bien; et il suffit, pour qu’il soit vrai, que toutes choses aspirent à l’unité, qu’elles forment une unité, et qu’elles aient le désir de l’unité. Sans doute, cette unité passe, en s’avançant (autant qu’il lui est possible de s’avancer), à des êtres différents; elle prend ainsi l’aspect d’une multiplicité; elle est même multiple en quelque manière. Mais l’antique nature, le désir du Bien, c’est-à-dire de soi-même, amène vraiment à l’unité: toute nature tend à l’unité, c’est-à-dire à elle-même. Le Bien, pour une nature, c’est d’être à elle-même et d’être elle-même, c’est-à-dire d’être une. On dit avec raison que le bien d’un être, c’est ce qui lui est propre; il ne doit pas le chercher hors de lui. Où serait son bien, d’ailleurs, s’il était tombé hors de son être? Et comment cet être pourrait-il trouver son bien en ce qu’il n’est pas? Si le bien, c’est l’être même et s’il est dans l’être, il est, pour chaque être, en lui- même. Nous ne sommes point séparés de l’être; nous sommes en lui; et il n’est point séparé de nous; tous les êtres ne font qu’un. »
    Plotin, Ennéade VI, traité 5, ch.1. Traduction Bréhier. Les belles lettres, 1936, 1983.

    Bien à vous.

  16. Arnaud dit :

    Chère Madame,
    Ce passage n’est pas un passage sur l’Un-Bien, mais sur l’Etre et l’être-bien d’une chose, c’est-à-dire de manière générale sur la participation du sensible à l’intelligible. La traduction de Bréhier entraîne des confusions dès le point de départ. La traduction GF est non seulement plus proche du grec, mais surtout plus conforme au contexte de ce passage : « Que l’être soit partout tout entier en même temps, un et identique par le nombre, etc. » (Traité 23 (VI, 5), p. 54). Les traités 22 et 23 ne sont qu’un seul et même traité et ont le même objet : la nature intelligible et sa mystérieuse présence, par l’intermédiaire de l’âme du monde, à toute chose. Les majuscules au mot « Bien » entraînent ici aussi un risque de confusion, les traductions plus récentes distinguent plus précisément « bien » et « Bien ». Dans tous les cas, et même dans la traduction Bréhier, la fin de ce passage est clair : il s’agit ici non pas du Bien, mais de l’être-bien : « Si le bien, c’est l’être même et s’il est dans l’être, il est, pour chaque être, en lui-même. Nous ne sommes point séparés de l’être ; nous sommes en lui ; et il n’est point séparé de nous ; tous les êtres ne font qu’un. ». Le Bien étant pour Plotin, et sans aucune ambiguïté, par delà l’Etre et l’essence, Il est donc bien évident que Plotin ne parle pas ici du Bien mais de l’Etre, de l’Intellect : du bien de la chose en tant qu’elle est conforme à son essence, qu’elle est pleinement en acte par sa participation à la nature intelligible, etc. La question de l’union à l’Un est bien plus problématique…
    Plus généralement, l’Etre peut être qualifié de divin, le monde lui-même peut l’être. Mais « divin » n’est qu’un attribut qui signifie que la réalité en question possède certaines qualités comme l’autarcie, la beauté… Mais le monde ne peut pas être considéré, chez Plotin, comme ce que nous appelons Dieu, si nous entendons par ce terme la réalité ultime. La réalité ultime, pour Plotin, est l’Un-Bien. La question consiste alors à savoir si l’Un et l’univers ne sont qu’une seule et unique réalité. Or Plotin est explicite sur ce point : l’Un n’est ni l’univers, ni même une partie de l’univers, il lui est radicalement transcendant. Cette réalité ultime lui étant transcendante et ne se confondant en rien avec lui, il semble difficile d’y voir un quelconque panthéisme. Au sens strict, il n’est pas possible de dire non plus que l’univers est présent en l’Un-Bien, car cette présence lui ferait perdre sa simplicité. Ce qui complique les choses chez Plotin, c’est bien le problème de la « présence ». Tout est bien présent en l’Un mais « sous le mode » de l’Un, et l’Intellect en tant qu’Intellect, l’âme en tant qu’âme ou le monde en tant que monde, ne sont en rien présents dans l’Un. Ils l’étaient mais compris dans l’unité, unité qui demeure absolument et éternellement transcendantes à toutes ses émanations et qui ne se confond jamais avec elles. Ce problème de la « présence » de l’Un, lié à la mystique, est complexe, mais ne permet pas de conclure à un panthéisme chez Plotin.
    J’arrête ici car ce n’est pas le lieu pour une discussion plus poussée. Le question du « panthéisme » chez Plotin n’est pas aussi problématique que vous semblez le croire parmi les spécialistes aujourd’hui. Mais ceci n’est pas une preuve, j’en conviens. Il me semble (humblement!) cependant, puisque vous accordez au moins un caractère problématique à cette « panthéisation » de la pensée de Plotin, qu’il serait plus prudent de ne pas le ranger parmi les panthéistes, sachant que d’autres auteurs ouvertement (et clairement) panthéistes pourraient vous servir d’exemples non problématiques… ou alors de signaler le caractère problématique de cette attribution par une petite note.
    Je vous remercie de m’avoir lu. Beaucoup de gens semblent vous suivre sur ce site, bravo pour votre engagement. J’espère cependant que tout ce savoir positif ne mène pas à la paresse intellectuelle et au dogmatisme chez ceux qui vous lisent, mais j’imagine que vous avez dû problématiser votre propos sur vos autres pages.
    Je vous souhaite une bonne continuation dans la recherche de la vérité.
    Bien à vous.

  17. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Vous avez raison. Puisque la référence à cet auteur est problématique, il vaut mieux éviter de le choisir. J’ai donc supprimé l’exemple.
    Merci pour votre contribution à la diffusion des lumières dans ce monde où l’obscurantisme semble faire un retour massif.
    Bien à vous.

  18. Doriane dit :

    Bonsoir
    Pardon si ma question est un peu bêbête mais je m’interroge sur le rapport sphère publique, sphère privée. La religion n’est pas l’affaire de l’Etat, c’est une affaire privée et doit demeurer dans la sphère privée. Bien. Mais qu’on le veuille ou non ne transporte-t-on pas sa sphère privée avec soi quand on pénètre la sphère publique? L’amour (et ses gestes tendres) est également une affaire privée, les goûts vestimentaires (avec toutes ses impudeurs) ou le langage (et ses débordements) sont une affaire privée, pourtant elles sont aussi des choses que l’on les exhibe inévitablement en public. J’ai du mal à comprendre comment on pourrait séparer strictement ces deux sphères et finalement comment on pourrait cesser d’être le religieux que l’on est (avec ses principes, ses codes, et ses craintes à l’égard de Dieu!) dès que l’on sort de chez soi. Pour autant je défends tout à fait le principe de la laïcité, mais … voilà ma question.
    Je vous remercie!
    Doriane

  19. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Vous posez une vraie question. Tant que l’appartenance à une religion ne s’exhibe pas dans le vêtement { sauf pour les membres des ordres religieux : prêtres, soeurs,etc.} il n’y a pas de problèmes. L’espace public et l’espace civique coïncident. La difficulté commence avec les appartenances religieuses ayant une grande visibilité. D’où les débats autour de ce qu’il faut entendre par espace public. Beaucoup de personnes dont je fais partie considèrent que la discrétion en matière religieuse { et aussi dans d’autres domaines relevant de la vie privée} est souhaitable même en dehors des instances où elle est obligatoire. Sens de la pudeur, de la politesse, des exigences qu’impose la coexistence pacifique des différences, etc.
    Bien à vous.

  20. Arnauld dit :

    Chère Madame,

    Vous faite référence dans le commentaire ci-dessus du 16 juillet 2022 à un retour de l’obscurantisme. Cette question me taraude l’esprit moi aussi.

    L’obscurantisme est-il lié au désenchantement du monde ? Auquel cas, il serait nécessaire de le réenchanter pour lutter contre lui. Mais alors cela nécessiterait-il aussi un retour du religieux ? Car selon moi c’est le rationalisme qui, en jugulant les passions, semble avoir éjecté toutes formes de rêves dans l’esprit humain contemporain. Il s’agirait donc de renouer avec nos passions pour nous remettre à avoir de l’ambition et rêver. Pour moi le sentiment religieux, par son autorité, régule et pose des limites aux passions. Il civilise en quelque sorte. C’est pourquoi je pose la question en début de ce paragraphe : pour réenchanter le monde, serait-il nécessaire d’un retour du sentiment religieux ?

    On pourra m’opposer, que les passions n’ont jamais été autant exacerbées que de nos jours : populisme, caprice communautariste, voire ochlocratie. Et effectivement, je trouve qu’il y a un paradoxe entre la quantité de normes rationnelles que notre corps social français doit respecter et son humeur politiquement déchaîné. Ainsi, lorsque je dis plus haut « renouer avec ses passions », je veux dire : renouer avec des passions disciplinées. D’où ma question sur l’éventuel nécessaire retour du sentiment religieux.

    Mais entendons nous sur la définition du mot « religieux », je l’utilise dans son sens strict. C’est à dire : relatif à un lien à quelque chose qui nous transcende. Un lien qui instaure donc du sacré et de l’autorité. Et qui peut être apprécié dans les religions rationnelles, comme le stoïcisme, ou révélées, comme le christianisme. Et qui peut être apprécié de nombreuses aux autres manières.

    Je reviens au sujet initiale : c’est à dire au retour de l’obscurantisme. Mon idée n’est pas d’inciter au retour du religieux, mais bien de lutter contre l’obscurantisme. D’ailleurs, pour formuler de manière positive le problème, il ne s’agirait pas de lutter contre l’obscurantisme, mais de libérer les lumières. Comment, finalement, les lumières peuvent-elles se faire entendre ?

    Vaste question.

    Déjà elles doivent parler et communiquer. Et c’est pourquoi je vous remercie d’avoir réalisé ce blog.

    Pour terminer et répondre à ma première question : l’obscurantisme est-il lié au désenchantement du monde ? Je crois que oui. J’ai l’impression que notre époque a fait de ce désenchantement une fatalité, alors qu’il est possible selon moi de reprendre en main le réenchantement. Par contre, cela demanderait beaucoup de force et surtout de courage. Car se battre pour déployer les lumières et se mettre au service de la création du monde demande des efforts ‘surhumains’.

    Et peut-être aussi beaucoup, beaucoup, beaucoup de patience.

    Je vous souhaite une bonne semaine,
    Bien à vous,

  21. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Il me semble que l’obscurantisme est surtout lié au renoncement à ce qui était la fonction de l’école: former les esprits à la rigueur intellectuelle afin de ne pas donner prise à ce que Descartes appelait « les pensées d’imagination ». Celles-ci témoignent de l’empire des passions ouvrant un boulevard aux superstitions, aux peurs irrationnelles, aux fanatismes. La devise des Lumières, comme l’a précisé Kant, est « ose te servir de ton entendement ». Encore faut-il rendre possible cet exercice, non seulement par une école digne de ce nom mais aussi par un usage public de la raison des personnes éclairées afin de permettre à chacun d’échapper à l’étroitesse d’esprit, aux propagandes, aux opinions qui circulent sans discrimination sur les réseaux sociaux par exemple.
    Des pans entiers de cet obscurantisme sont nourris aujourd’hui par les religions et les idéologies qui « enchantent » à bas prix le réel. On peut leur opposer comme remède plus efficace la lucidité de la science et de la philosophie qui ne sont pas l’une et l’autre sans poésie.
    Bien à vous.

  22. Arnauld dit :

    Merci.

    La réponse que vous proposez pour faire grandir l’être humain – et donc lutter contre l’obscurantisme – me rappelle celle dont vous parlez dans l’article « La guerre des Dieux ou l’unité et la paix par le logos » de septembre 2008.
    Comment selon vous pourrions-nous réinstaurer l’autorité de la raison au sein de l’institution scolaire ? J’entends l’autorité au sens où vous la décrivez dans l’article « Qu’est-ce que l’autorité ? » de novembre 2011.
    D’ailleurs, à la relecture de cet article, une réponse me vient. Vous dites en effet : « Contre une longue tradition ayant établi un rapport d’extériorité entre la loi, la vérité, les valeurs et leur fondement, la subversion moderne a consisté à se réapproprier le pouvoir de décider ce qu’il en est du vrai, du bien ou du beau. Exit l’idée qu’ils sont ce qui transcende l’arbitraire humain, ce qui s’impose à une âme déliée de ce qui l’aveugle et doit être la mesure des appréciations humaines. »
    Pour permettre à l’école de retrouver sa fonction civilisatrice, je comprends qu’il s’agirait de réinstaurer une tradition qui établit un rapport d’extériorité à la loi, à la vérité et aux valeurs. Qu’en pensez-vous ?
    Dans ce cas là, comment donner de l’autorité à cette tradition ? Quelle légitimité aurait-elle à mettre fin à cette subversion moderne et à énoncer qu’il existe des vérités non-relatives ?

    En somme, comment inverser le cours des choses et rétablir l’amour du vrai, du bien et du beau dans les discours rationnels des hommes ?

    Par la lutte rationnelle des lumières ? Par l’exemple ? Pour qu’une parole mélodieuse soit entendue dans la cacophonie moderne, elle devra nécessairement être puissante.

    Je vous souhaite un bon début de semaine.
    Bien à vous,

    Références aux articles que je cite dans ce commentaire :
    https://www.philolog.fr/la-guerre-des-dieux-ou-lunite-et-la-paix-par-le-logos-max-weber-et-benoit-xvi/
    https://www.philolog.fr/quest-ce-que-lautorite/

  23. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Il me semble que la position socratique, telle qu’elle est défendue dans ce blog, incarne une solution à l’arbitraire humain, puisque la révélation en nous de la raison, c’est à la fois le sens de la transcendance et l’expérience que nous avons un rapport d’intériorité avec elle.
    « Quand nous voyons l’un et l’autre que ce que tu dis est vrai, quand nous voyons l’un et l’autre que ce que je dis est vrai, où le voyons-nous je te le demande ? Assurément ce n’est pas en toi que je le vois, ce n’est pas en moi que tu le vois. Nous le voyons l’un et l’autre dans l’immuable vérité qui est au-dessus de nos intelligences ». Les Confessions. Livre XII.
    Cf.https://www.philolog.fr/socrate-ou-lexperience-philosophique-patocka/
    Bien à vous.

  24. Arnauld dit :

    Bonjour,

    Merci pour votre réponse et pour le lien de l’article.
    J’ai mis un peu de temps, mais je pense mieux comprendre votre position. Si j’ai bien compris, vous soutenez que l’école pourrait être le lieu de la mise en contact des enfants avec la révélation socratique de la raison ? Et en grandissant, habitués à ce contact, ils pourraient par eux-mêmes commencer à la pratiquer. C’est bien ça ?
    Du coup vous pariez sur le fait que l’école peut être un lieu de civilisation des jeunes esprits qui, en grandissant, apprendraient à devenir autonomes en s’émancipant par la raison. Et l’arbitraire humain – source d’obscurantisme – pourrait donc être écarté grâce à la pratique de la raison socratique.
    Il conviendrait donc que la taille des classes et l’organisation de l’enseignement soit centré sur le développement de la raison chez l’élève.

    Une question découle de cela et me taraude. Une fois leur Bac en poche, ces jeunes pousses formées à la révélation socratique de la raison, doivent trouver leur place dans la société. Quelle place existe-t-il pour des êtres autonomes dans notre monde salarial actuel ? Pour moi, par exemple, le diplôme qui est censé sanctionner le degré de développement de la raison, est une entrave à la liberté. Car il est quasiment impossible – sans capital social – de sortir du secteur d’activité auquel nous permet d’accéder notre diplôme.

    Ainsi de jeunes esprits dotés d’une telle formation socratique de l’esprit trouveront-ils leur place dans la société ?

    Bien à vous,

  25. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Votre message me laisse perplexe à plus d’un titre.
    Vous ne semblez pas comprendre que l’apprentissage de la rationalité, la formation d’esprits affranchis des préjugés, capables de penser par eux-mêmes et de déployer leurs capacités d’autonomie a toujours été l’enjeu de l’école républicaine, laïque et obligatoire. Car les métiers les plus modestes comme les plus prestigieux ne dispensent pas ceux qui les exercent de faire « leur métier d’homme ». Comme l’écrit Descartes: « le bon sens (ou la raison)est la chose du monde la mieux partagée: car chacun pense en être si bien pourvu, que ceux même qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose, n’ont point coutume d’en désirer plus qu’ils n’en ont » Mais il ajoute « ce n’est pas assez d’avoir l’esprit bon, mais le principal est de l’APPLIQUER BIEN » Ce que doit permettre une école digne de ce nom dès le plus jeune âge.
    Votre propos sur l’antinomie qui existerait entre le monde salarial et l’autonomie morale et spirituelle, n’a aucun sens à mes yeux. Pas davantage que votre affirmation d’un déterminisme social absolu.
    Quelles que soient les Lumières des uns et des autres, tous ont à s’insérer dans une société en assumant les contraintes des différentes professions et de ce qui est utile à un moment donné dans une société donnée.
    Bien à vous

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