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A quoi reconnaît-on qu'une théorie est scientifique?

 Henri Poincaré

Plan:

 

   Reconnaître c’est identifier, savoir distinguer une chose de ce qui n’est pas elle. La discrimination est la tâche la plus difficile de l’esprit, car l’expérience première est marquée par l’obscurité et la confusion. Par exemple, il existe une grande quantité de productions théoriques. On entend par là une vision de l’esprit, une construction intellectuelle, un système spéculatif. Les hommes ne sont pas avares de telles productions. L’astrologie, l’alchimie, la numérologie, la graphologie en proposent et pourtant il  s’agit de fausses sciences. Le marxisme, le freudisme aussi, or si l’on en croit Popper, ces discours sont des idéologies, ce ne sont pas des sciences. Alors comment se prémunir contre ce genre de confusion? Y a-t-il des critères solides permettant de faire le partage entre ce qui appartient au champ des sciences et ce qui lui est étranger ?

   Qu’est-ce  qu’une théorie scientifique ? A quoi reconnaît-on sa scientificité?

    Le développement doit énumérer un certain nombre de critères. Le caractère dialectique de la réflexion ne peut procéder que de la découverte du caractère nécessaire mais non suffisant de chacun.

 

  1) Définition d’une théorie : « C’est un système de propositions mathématiques, déduites d’un petit nombre de principes, qui ont pour but de représenter aussi simplement, aussi complètement que possible un ensemble de lois expérimentales » Pierre Duhem.

 

  2) Premier critère : La cohérence interne. Une théorie doit être consistante c’est-à-dire exempte de contradiction interne. Un discours non valide formellement n’a aucun titre à la scientificité. Ce critère est nécessaire et suffisant pour les sciences formelles où l’on n’a pas à se préoccuper de la conformité de la théorie à l’objet sur lequel elle porte puisque celui-ci est construit par l’esprit. En revanche si la cohérence est absolument nécessaire, elle n’est pas suffisante pour tous les autres discours.

 

  3) Deuxième critère : Il doit y avoir correspondance entre les propositions théoriques et les faits et les lois expérimentales. La science a pour vocation de rendre compte du réel tel qu’il est donné dans l’expérience humaine. Sans doute faut-il rompre avec l’expérience sensible pour élaborer la science mais c’est la capacité des formalisations théoriques à rendre compte des phénomènes observables qui fait la scientificité d’une théorie.

 

  PB: Des formalisations mathématiques différentes peuvent être élaborées d’un ensemble de phénomènes donnés. Cf. «  C’est en réalité tout notre système de conjectures qui doit être prouvé ou réfuté par l’expérience. Aucune de ces suppositions ne peut être isolée pour être examinée séparément. Dans le cas des planètes qui se meuvent autour du soleil, on trouve que le système de la mécanique est remarquablement opérant. Nous pouvons néanmoins imaginer un autre système, basé sur des suppositions différentes, qui soit opérant au même degré ». Einstein et Infeld. L’évolution des idées en physique.1938

  Ce critère est donc lui aussi nécessaire mais il n’est pas suffisant.

 

  4) Troisième critère : Elle doit fournir un bon système de prédictions. Une théorie ne doit pas seulement avoir un rôle rétrospectif de coordination et de synthèse des lois et des faits expérimentaux connus. Elle doit fournir aux chercheurs un instrument de travail leur permettant de trouver des réponses aux questions qu’ils se posent. La scientificité d’une théorie se mesure à sa fertilité c’est-à-dire non seulement à sa puissance explicative mais aussi à sa capacité à fonder de nouvelles hypothèses de travail permettant de découvrir des faits nouveaux. (Rôle prospectif). Ce pouvoir heuristique de la théorie scientifique en est une dimension fondamentale. « La théorie a rendu à l’expérience ses bons offices en lui proposant des lois nouvelles à vérifier, soit déduites de la simple combinaison mathématique des lois existantes, soit parfois, cas plus frappant encore, postulées comme vraies parce qu’elles étaient capables, par le processus de généralisation ou d’accouplement avec d’autres lois connues déjà décrit, de donner comme conséquences un grand nombre de celles-ci et de réduire ainsi le nombre total des équations indépendantes. Ces relations postulées sont les hypothèses. Ex : L’hypothèse du courant de déplacement faite par Maxwell pour synthétiser les différentes lois connues de l’électricité et du magnétisme était vérifiée après vingt ans par les expériences de Hertz, qui révélaient la propagation du champ électromagnétique, grâce à un instrument nouveau, l’oscillateur de Hertz, capable de déceler des effets plus fins que précédemment. Un cas plus remarquable encore est fourni par l’hypothèse ondulatoire de l’électron, de Louis de Broglie, créée pour entraîner comme conséquences les relations spectroscopiques des atomes et donnant lieu à la vérification directe, deux ans après, par l’expérience de Davisson et Germer (1926) » Jean Ullmo. La Pensée scientifique moderne.1969.

 

  PB : Quelle que soit sa fertilité une théorie doit encore satisfaire à un autre critère pour prétendre à la scientificité car une théorie fertile doit souvent être complexifiée pour intégrer de nouvelles données et sauver son caractère explicatif et prédictif.

 

  5) Quatrième critère : Or il y a une limite à la complexification car la théorie doit aussi obéir à l’exigence de simplicité ; ce que les mathématiciens appellent son élégance. D’où la nécessité de remaniements théoriques souvent fondamentaux. Mais ceux-ci doivent moins être pensés comme un abandon de la théorie précédente que comme un élargissement. « Il ne faut pas comparer la marche de la science aux transformations d’une ville, où des édifices vieillis sont impitoyablement jetés à bas pour faire place aux constructions nouvelles mais à l’évolution continue de types zoologiques qui se développent et finissent par devenir méconnaissables aux regards vulgaires, mais où un œil exercé retrouve toujours les traces du travail antérieur des siècles passés. Il ne faut donc pas croire que les théories démodées ont été stériles et vaines » Poincaré. La valeur de la science.1905.

 

  6) Cinquième critère : En dernière analyse, il n’y a qu’une seule manière de s’assurer de la validité scientifique d’une théorie, c’est de chercher l’expérience qui pourrait en révéler la fausseté. La théorie scientifique a le souci de sa falsification. On sait que Popper fait de la falsifiabilité, le critère de démarcation du métaphysique et du scientifique, de l’idéologique et du scientifique. (A développer en approfondissant la distinction : vérification, falsification ; idéologie, science avec l’exemple du freudisme ou du marxisme).

   Dans cette partie il faut pointer la supériorité de la science qui tient à son caractère non dogmatique. Comme le disait Claude Bernard, le savant ne doute pas de la science mais il ne cesse de douter des réponses qu’il apporte à ses questions. Il s’interdit donc de construire des systèmes théoriques, brillants peut-être, mais inaptes à envisager des prédictions vérifiables.

  Une théorie est donc scientifique en ce qu’elle se préoccupe d’avoir des conséquences observables suffisamment nombreuses pour pouvoir être testée.  

  Par ce caractère on peut dire que la science, en tant qu’institution, est un scepticisme organisé.

 

  Conclusion : Une théorie doit satisfaire à de multiples critères pour prétendre à la scientificité. Elle révèle que la vérité en science ne se pense pas comme une vérité absolue, mais comme une vérité approchée, approximative. La science est devenue puissante lorsqu’elle est devenue modeste. Elle a codifié dans sa règle du jeu l’éventualité de l’erreur, se donnant ainsi les moyens de la surmonter progressivement.